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Accord commercial avec les Etats-Unis : À plat ventre les européens !

U.S. President Donald Trump shakes hands with European Commission President Ursula von der Leyen, after an announcement of a trade deal between the U.S. and EU, in Turnberry, Scotland, Britain, July 27, 2025. REUTERS/Evelyn Hockstein

C’était l’actualité qui n’a échappé à personne : l’accord commercial signé entre l’Union Européenne et les Etats-Unis, et plus précisément, signé entre Ursula Von Der Leyen et Donald Trump le 28 Juillet 2025. Si légalement nous pouvons parler d’un accord commercial, la réalité est qu’il s’agit plutôt d’une volonté unilatérale américaine imposée aux européens. En effet, cela faisait plusieurs semaines que Donald Trump menaçait d’imposer 30 % de droits de douane sur les produits européens. L’accord prévoit que dans un élan de bonté, Donald Trump ne mettra des droits de douane « que » de seulement 15%. En échange les européens s’engagent à :

  • Acheter 750 milliards de dollars de GNL (gaz naturel liquéfié) aux USA
  • Acheter 40 milliards de puces IA américaines
  • Investir 600 milliards d’euros aux USA
  •  Acheter « quelques centaines de milliards de dollars » d’armes américaines

Cet accord, en France, a fait l’unanimité contre lui, et une phrase m’a particulièrement plu, celle de François Bayrou : « c’est un jour que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission ». Malheureusement, rien n’est plus vrai, et nous allons voir pourquoi.

Un Munich commercial

Le terme « Munich Commercial » a été employé par plusieurs politiques et analystes pour désigner cet accord. Le terme est plus qu’adapté. La réalité est que l’Union Européenne, contrairement à la Chine, n’a pas essayé, la moindre seconde, de rentrer dans un rapport de force. Rappelons un point : l’Union Européenne, est le premier marché mondial. L’Union Européenne a les moyens de rentrer dans un rapport de force, avec les Etats-Unis comme avec la Chine. Et pourtant, Ursula Von Der Leyen, n’a fait que se plier aux exigences de Donald Trump pour décrocher misérablement des droits de douane à 15 % au lieu de 30%.  La réalité, c’est que des moyens de pression sur les Etats-Unis étaient existants, et cela allait au-delà des droits de douane: les services numériques, les fast-foods, le cinéma américain. C’est proprement un Munich Commercial, comme en 1940, les européens se sont soumis, ont accepté toutes les conditions d’une puissance qui impose un rapport de force violent, en espérant qu’elle n’aille pas plus loin. La suite des accords de Munich, nous la connaissons tous… En effet, c’est bien cela qui est choquant : la réalité est que cet accord commercial n’aura pas un impact délétère sur nos économies : la France ne sera que peu impactée à part quelques secteurs précis comme l’aéronautique et le vin.  Le seul problème réel est la dépendance énergétique créée au GNL américian. Les exportations françaises aux USA représentent 48 milliards d’euros contre 163 pour l’Allemagne. La France a un excédent commercial faible avec les Etats-Unis, donc elle a assez peu à perdre avec cet accord.

Ce qui est gênant, en réalité, c’est le symbole. L’Union Européenne, se soumet. Ce ne sont pas seulement les Etats-Unis. Quel message envoie t-on à la Chine qui mène une politique commerciale de plus en plus agressive ? Quel message envoie-t-on à la Russie et ses velléités expansionnistes ?

L’Union Européenne, montre aujourd’hui sa faiblesse dans un des seuls domaines où elle arrivait à fonctionner : le commerce !

Ce qui est inquiétant, c’est le signal envoyé, pas seulement aux puissances extérieures, mais aussi en interne. Quand nous voyons, le Royaume-Uni qui a réussi seul à négocier un accord plus favorable, le message envoyé est que finalement, l’union ne fait plus la force, et qu’il vaut mieux négocier seuls.  Evidemment, et je l’expliquerai plus tard cela est à nuancer.

S’opposer de vive voix à cet accord

Soyons clairs, cet accord est néfaste et les pays européens doivent s’y opposer. A priori, la France devrait voter contre, il lui faudrait rallier trois autres pays, qui représentent 35 % de la population européenne.  Je ne pense pas honnêtement, qu’un tel rejet puisse émerger, mais si cela devait être le cas, il faudrait que Urusula Von Der Leyen en tire toutes les conclusions qui s’imposent. Encore une fois, l’accord n’est pas en soit extrêmement nocif pour les économies européennes. L’enjeu, c’est la capacité de l’Europe à se faire respecter, et, encore une fois, elle en a les moyens.  Il est donc nécessaire de s’opposer à cet accord, et de reprendre les négociations avec la pression d’utiliser différents leviers à disposition : la taxe sur les services numériques, les services en général, les marchés publics…

Faut-il revenir à une politique commerciale nationale ?

Il faut savoir, que la compétence commerciale est une compétence exclusive de l’Union Européenne. Que cela signifie-t-il ?  que c’est un domaine pour lequel les décisions ne peuvent être prises que par l’Union Européenne. Concrètement, dans le domaine du commerce : la commission européenne conclut un accord commercial, et il faut qu’il soit validé à une majorité qualifiée par le Conseil de l’UE (rassemblant les ministres des 27 pays européens). Il faut que 55 % des Etats-membres (15 sur 27) votent en faveur et que les Etats membres votant en faveur représentant a minima 65 % de la population européenne.  L’Union Européenne est aussi la seule qui décide des droits de douane. Une question se pose : faut-il revenir à une politique commerciale nationale et donc en finir avec la politique commerciale commune ?

C’est la question que posait, il y a une semaine,  Bruno Alomar , haut-fonctionnaire qui a travaillé au ministère des finances et à la commission européenne, dans une tribune publiée au Figaro. Soyons honnêtes : d’une part, il est vrai, qu’il est très difficile d’avoir une politique commerciale commune entre 27 pays. La France, dans sa tradition protectionniste, est plus attachée à la souveraineté économique,  dans différents secteurs en particulier l’agriculture. L’Allemagne défend une économie beaucoup plus ouverte. Dans le cas de négociations avec les Etats-Unis, la France et l’Allemagne peuvent très difficilement s’entendre, en raison des différences sur le montant de l’excédent commercial avec ce pays. Nous pouvons voir les mêmes divergences sur l’accord UE-Mercosur, où la France est beaucoup plus réticente, du fait, de l’importance de l’agriculture au sein de l’économie française.

Ce qui est certain,  c’est que l’accord,  est une soumission à cause de la pression de plusieurs pays dont l’Allemagne et l’Irlande. Typiquement, l’Allemagne a voulu sauver son industrie automobile. Raison pour laquelle tout a été fait pour éviter une escalade, et pourquoi les européens se sont soumis à investir aux USA, acheter plus d’armes et de GNL américains. Il est évident, que la France a beaucoup moins à perdre à une escalade avec les Etats-Unis que l’Allemagne.  De même, soyons lucides, la quasi-totalité des pays européens à l’exception de la France – fidèle à sa tradition d’autonomie stratégique- dépend de l’armement américain et aussi du parapluie nucléaire de ce pays. Ceci est loin d’être anecdotique car cela explique pourquoi la Pologne, l’Allemagne et finalement presque tous les pays européens se sont littéralement couchés face aux Etats-Unis. Le même type d’argument pourrait être trouvé pour les négociations en cours sur l’accord UE-Mercosur, la France a plus à perdre de par l’importance de l’agriculture au sein de son économie, à ce que cet accord soit validé, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Espagne.  De fait, tous ces points laissent penser qu’une politique commerciale nationale aurait été plus favorable à la France, qui aurait pu mieux négocier selon ses intérêts, qui ne sont pas les mêmes que ceux allemands par exemple.

Ne pas céder au simplisme pour autant

Ne cédons pas au simplisme pour autant, en pensant qu’une politique commerciale nationale en lieu et place d’une politique commerciale européenne unifiée serait la solution magique, et sans inconvénient et ce pour trois raisons.

Premièrement, ce qui permet à l’Union Européenne de peser dans les négociations commerciales internationales, est, quoi qu’on en dise, la politique commerciale commune. Le fait, que le premier marché mondial, représentant plus de 400 millions, parle d’une seule voix dans les négociations est un peu plus, et si chaque pays se met à négocier dans son coin les accords commerciaux,  à appliquer ses propres droits de douane, l’Union Européenne serait marginalisée.

De fait, certains affirment, que le Royaume-Uni a été plus fort en négociant seul qu’à 27 en obtenant des droits de douane plus faibles (10 %) que l’Union Européenne. Ceci est en réalité très simpliste pour plusieurs raisons :

  • L’Union Européenne, dans son accord se voit imposée des droits de douane plus élevés, c’est un fait. En revanche, contrairement à la volonté des USA, les normes sanitaires et environnementales appliquées aux importations américaines demeurent intactes :  les normes appliqués seront les mêmes que celles s’appliquant déjà aux pays européens. De même, les Etats-Unis réclamaient un assouplissement des normes s’appliquant aux services numériques, il n’en n’a rien été.
  • En revanche, les Etats-Unis ont obtenu des concessions règlementaires de la part du Royaume-Uni mais aussi au niveau des quotas d’importation. Surtout pour les pays européens, les droits de douane sont de 15%. Au Royaume-Uni c’est une hausse de 10 points par rapport aux droits de douane de 4,8 % qui s’appliquaient déjà au Royaume-Uni, ce qui fait : 14,8 % ! , donc presque aucune différence….

Le fait est que dire, que le Royaume-Uni a obtenu un accord beaucoup plus avantageux que les européens, est donc tout simplement faux.

Enfin, remettre en cause la compétence commerciale de l’UE, c’est clairement annoncer la mort de l’UE, puisque c’est un des rares domaines où elle excelle

La solution : une politique commerciale en compétence partagée

Ceci amène donc à la conclusion suivante : une politique commerciale commune a ses limites et ne prend pas forcément en compte les intérêts de chacun. Pour autant, une politique commerciale nationale n’est pas forcément une solution. Il faut donc un équilibre, et il peut exister : la compétence partagée. C’est une compétence pour laquelle les Etats peuvent négocier indépendamment des autres, au même titre que l’Union si celle-ci n’a pas déjà pris de disposition. Nous pourrions imaginer une politique commerciale qui soit une compétence partagée : l’UE établirait des normes communes lorsqu’elle négocie un accord commercial avec un pays, mais derrière, chaque pays pourrait négocier des points de manière bilatérale en ce qui concerne les secteurs stratégiques. Par exemple, la France exportant beaucoup de vins, pourrait négocier directement avec le pays en question sur les clauses concernant le secteur de l’alcool français. Evidemment, cela demande beaucoup de précision pour être mis en place mais peut paraître une base pertinente.

Donald Trump commet une erreur monumentale

Donald Trump commet une erreur monumentale en menant une guerre commerciale au monde entier : les premiers perdants sont les consommateurs américains qui vont payer 15 % plus cher ce qui vient de l’UE.  De même, pour les droits de douane à 30 % sur la Chine, cela va représenter un coût colossal pour les consommateurs américains. De plus, quand Donald Trump impose des droits de douane à 40 % sur des pays comme Laos ou de 35 % sur le Bengladesh, cela est pour une raison simple : la forte importation de textile venant de ces pays. Mais là est tout le simplisme : croit-on vraiment que les Etats-Unis sont en mesure de produire du textile eux-mêmes ? Que des usines de textile vont s’installer dans un pays où le salaire mensuel minimum est de 1200 dollars au lieu de s’implanter dans un pays où le salaire minimum est à 120 dollars ? C’est tout le simplisme des droits de douane : penser que cela va permettre, comme par magie de relocaliser toutes les industries aux Etats-Unis. La réalité est beaucoup plus complexe, en raison des différences évidentes en matière de législation et de rémunération. A moins que Donald Trump compte faire payer très cher tous les produits à base de textile aux américains. De même, une telle relocalisation si elle était possible nécessiterait un main d’œuvre colossale, à l’heure où Donald Trump choisit de refuser toute main d’œuvre étrangère.

Une priorité : sortir de la naïveté à l’égard de la Chine

Néanmoins, Donald Trump fait un bon constat : il y a un problème dans le commerce international, en particulier avec la Chine et son capitalisme d’Etat. La Chine, détruit des secteurs entiers dans de nombreuses économies : la première victime en Europe est l’industrie automobile, pour ne citer qu’elle. Il y a eu une naïveté collective à l’égard de la Chine. Là où Donald Trump commet une grosse erreur est de s’en prendre à la Terre entière. Il aurait été beaucoup plus judicieux de former une union commerciale avec l’Europe, le Canada, mais aussi les pays de l’indopacifique (Japon, Corée du Sud, Vietnam…) pour contrer l’influence Chinoise.

Cela est aussi valable pour les européens, qui pourraient être tentés face au retour du protectionnisme aux Etats-Unis de se jeter dans les bras de la Chine. L’Europe doit incarner un troisième pôle avec des pays qui partagent la même vision : le Canada, le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, etc…

 Le danger imminent d’un point de vue commercial, ce ne sont pas les USA, mais bien la Chine, qui s’apprête à saborder l’automobile, l’aéronautique… La solution est donc de multiplier des accords de libre-échange équitables et prenant en compte les intérêts nationaux spécifiques pour faire face à cette menace. L’Union Européenne a mis du temps à se réveiller, et il est déjà presque trop tard, en témoigne l’accord signé en 2020 avec la Chine,  qui a ouvert de nombreux marchés publics aux entreprises Chinoises.

Pour conclure

Cet accord commercial, est une honte, non pas pour ses impacts mais pour le symbole envoyé, celui d’une Europe qui ne sait pas défendre ses intérêts et à l’heure où la sécurité européenne, commerciale, militaire et politique est menacée de toute part, c’est assez inquiétant. Ce qu’il faut c’est que l’Union Européenne sorte de l’illusion de ce que nous avons appelé la mondialisation heureuse. Le protectionnisme américain, ce n’est pas que Donald Trump, ça a été poursuivi et même amplifié (avec l’inflation reduction act) durant la présidence Biden, et si en 2028, un candidat démocrate remporte la maison Blanche, rien ne dit que ce virage protectionniste sera remis en cause.  Entre la guerre, le retour du protectionnisme aux Etats-Unis et l’aggressivité commerciale de la Chine,  l’Union Européenne doit amplifier la direction prise par sa « nouvelle politique commerciale » pensée en 2023 : l’autonomie stratégique ouverte. L’ouverture commerciale : oui, mais pas à n’importe quel prix, en défendant ses normes et ses intérêts. N’oublions jamais que le marché européen est le premier marché mondial.

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