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Miracle économique espagnol : le fantasme de la gauche française, des relativisations nécessaires

Il en a fallu du temps, mais la gauche française croît enfin avoir trouvé et ce depuis 1 an, un modèle qui justifierait l’efficience de leur projet économique keynésien et ultra-interventionniste. Depuis presque 1 an, de nombreuses personnalités et médias de gauche disent avoir trouvé un eldorado qui montrerait l’efficacité de leur programme économique : l’Espagne ! Reporterre qui nous parle d’un exemple réussi pour la gauche, Regards qui dit « l’union de la gauche au pouvoir  ça marche ! ». Pour cela, nos amis socialistes citent plusieurs chiffres :

  • La croissance économique en Espagne : 3,2 % en 2024
  • Les multiples mesures économiques et sociales prises : hausse du SMIC de 30 %, taxation des hauts revenus,
  • Un déficit à 3,5 %, un taux d’endettement à 104,3 % du PIB

Rien n’est à nier concernant ces chiffres, mais dire que ce serait un modèle qui justifierait la pertinence du programme économique de la gauche en France, c’est très simpliste. Nous allons répondre cela en développant deux points :

  1. Dire que l’Espagne a appliqué le même programme que celui de LFI c’est faux
  2. Parler d’un miracle économique espagnol sans aucun nuage, c’est encore plus faux

Nous allons développer ces deux points.

Un miracle économique à nuancer profondément

Tout d’abord, comme nous l’avons vu, l’Espagne a des chiffres économiques qui peuvent faire envier d’autres pays européens, à commencer par la France. Une croissance forte, un taux d’endettement plus faible, un taux de déficit aussi plus faible.  Ces chiffres adossés aux mesures prises par le gouvernement espagnol : accroissement de la fiscalité progressive, réduction du temps de travail,  TVA à taux zéro, hausse des minimas sociaux, en font un modèle pour nos idéologues de gauche. Pour autant, il est étonnant que ceux-ci ne citent pas d’autres chiffres sur l’économie espagnole :

  • Taux de pauvreté à 26 % en Espagne vs  14,4 % en France
  • Un taux de décrochage scolaire à 13,7 % vs 7,5 % en France
  • Un taux de chômage à 12,2 % vs 7,3 % en France

Un point important : il y a eu une hausse du SMIC spectaculaire c’est vrai, 50 % cumulée depuis l’arrivée de Sachez au pouvoir, mais cela a eu une conséquence : le taux de travail au noir est toujours très élevé, entre 15 et 20 % selon EquinoxMagazine. De même, après la dernière hausse du SMIC a eu lieu un rebond du taux de chômage de 0,5 point en 2024. L’économiste Rafael Pampillon estime que la hausse du SMIC a empêché la création de 100 000 emplois.

Cette croissance économique est aussi extrêmement fragile pour plusieurs raisons, comme l’explique RTBF.

Tout d’abord, c’est une économie qui repose sur deux points : le tourisme et les investissements publics.

Tout d’abord, le tourisme

Le tourisme, est un point central de l’économie espagnole et la croissance économique dépend largement de la reprise post-covid de ce secteur. Cela a des conséquences :  de plus en plus d’investissements étrangers dans ce secteur, conduisant à une inflation des prix du logement. De plus, les emplois offerts par le tourisme sont souvent des emplois précaires, des contrats courts et faiblement payés ce qui explique une croissance des salaires très faible : 1,6 % en Espagne selon trading economics contre 2,8 % en France.  Les jeunes sont particulièrement frappés par les inégalités pour deux raisons : le décrochage scolaire très élevé, et le fait que les emplois créés soient très précaires. L’âge de prise d’indépendance en France est de 24 ans en moyenne, 26,5 en moyenne en Europe, en Espagne c’est 29,8 ans.  La raison est simple : la prise d’indépendance coûte très cher en Espagne. L’Espagne est championne d’Europe du chômage des moins de 25 ans ne l’oublions pas. Le taux de diplômés du second cycle est de 81 % en Espagne, en dessous de la moyenne de l’OCDE à 86 %

Le deuxième point faible, on l’a dit : c’est que cette économie repose sur les investissements publics. Le problème étant que cette dépense publique très élevée et qui ne réduit pas se fait grâce aux fonds du programme Next Generation Eu, des fonds européens liés au plan de relance post-covid. L’Espagne a eu droit à des sursis avant l’extinction des fonds grâce à des promesses de réforme concrète. Pour autant, toutes les  bonnes choses ont une fin :la fin du versement des fonds est prévue pour 2026. Il est important de savoir les apports européens ont été de 163 milliards d’euros en 2025. L’Espagne va donc être confrontée à un dilemme : soit réduire brutalement ses dépenses, soit faire augmenter de manière exponentielle sa dette publique.

D’autres faiblesses

Ce sont les deux plus grosses faiblesses du modèle espagnol, nous pourrions en citer deux autres.

Si l’Allemagne a été très critiquée à juste titre pour ses choix énergétiques et sa volonté de dépendre d’un seul fournisseur : la Russie, l’Espagne n’a pas fait mieux. 50 % de son gaz provient d’Algérie.

L’Espagne a le taux de dépense de défense en part du pib le plus faible de tous les pays de l’OTAN (1,28 %).  L’Espagne a augmenté seulement son budget défense de 2,3 milliards d’euros, quand on parle de 100 milliards en Allemagne et en France.  La réalité, c’est que dans le contexte international que nous connaissons : l’Espagne a fait un choix périlleux, le même que l’Allemagne celui de la dépendance et de la délégation : l’Allemagne a délégué sa défense aux USA et son énergie à la Russie. L’Espagne a fait pareil avec les USA et l’Algérie.

La fragilité du modèle énergétique Espagnol a pu être vérifiée très récemment avec la panne électrique nationale qui a eu lieu le 28 Avril : l’Espagne ayant misé son mix énergétique en grande partie sur le renouvelable s’est retrouvée dans l’incapacité de stocker son électricité dans une situation de surproduction.

Peut-on comparer le programme de LFI à celui des réformes mises en place en Espagne ?

Premièrement, le NFP a érigé en modèle l’Espagne pour justifier sa volonté d’augmenter à 1600 euros le SMIC après les législatives. Comparons ce qui est comparable.  Le SMIC en Espagne quand Pedro Sànchez est arrivé au pouvoir était de 735 euros il est de 1184 euros aujourd’hui. Le projet du NFP est de la passer de 1426 net à 1600 euros (ce qui ferait 2051 brut). Cela ferait une hausse de 12 % du SMIC. Nous voyons que les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes ce à quoi la gauche française répond que les salaires sont plus élevés en France et donc que nous pouvons comparer. C’est vrai, sauf que, n’oublions de prendre en compte un point important : le coût du travail !  En Espagne, le taux de la cotisation employeur pour un emploi au SMIC est de 23,6 %. En France, c’est entre 25 et 42 %. Le problème avec la hausse du SMIC proposée par le NFP, c’est que ça ne représenterait pas « seulement » une hausse  de 174 euros à payer par l’employeur, mais plutôt une hausse entre 530 et 550 euros. Pour un patron de PME, cela ne peut avoir que deux conséquences : soit licencier du personnel, soit carrément mettre la clef sous la porte ! Par ailleurs, un article du Journal Le Monde (qui, à dernière nouvelle, n’est pas le journal le plus à droite de France) explique que la hausse du SMIC pourrait conduire à la suppression de 100 à 200 000 emplois et coûterait 20 milliards d’euros aux finances publiques.  Rappelons enfin, que la hausse du SMIC en Espagne n’a pas eu forcément les effets escomptés, le taux de chômage est toujours très élevé, comme le taux d’emplois au noir.

La hausse des impôts en question

Autre exemple espagnol que les partis du NFP prennent pour justifier leur programme : la hausse des impôts sur les hauts revenus et les grandes entreprises.  D’abord, sur les hauts-revenus, de quoi parle-t-on ?

  • D’un taux entre 28 et 30 % pour les revenus de l’épargne supérieurs à 300 000 euros, soit le taux appliqué en France depuis le PFU, instauré par Emmanuel Macron. Dans le programme du NFP, les taux auraient grimpé jusqu’à 45 %, nous ne parlons pas du tout de la même chose.
  • Une hausse de l’impôt sur le revenu des classes aisées de 2%

Revenons sur l’impôt sur le revenu, voici un comparatif après la réforme espagnole des taux français et espagnols :

Espagne

Tranche de revenus imposables (€)Taux d’imposition (%)
Jusqu’à 12 450 €19%
De 12 451 € à 20 200 €24%
De 20 201 € à 35 200 €30%
De 35 201 € à 60 000 €37%
De 60 001 € à 300 000 €45%
Plus de 300 000 €47%

France

De 11 498 à 29 315 euros11 %
De 29 316 à 83 823 euros30 %
De 83 824 à 180 294 euros41 %
Au-dessus de 180 294 euros45 %

A première vue, nous pourrions penser que le taux d’imposition des grandes fortunes est plus élevé en Espagne qu’en France sauf que, en France, nous avons un impôt nommé la « contribution exceptionnelle sur les hauts revenus » qui, comme beaucoup d’impôts exceptionnels en France est finalement devenu pérenne.  Qui peut aller de 3% pour quelqu’un ayant un revenu supérieur à 500 000 euros, à 4 % pour une personne ayant une personne ayant un revenu supérieur à 1 000 000 d’euros. Ce qui fait donc que le taux d’imposition d’une personne qui a un revenu de plus de 500 000 euros est plus élevé en France qu’en Espagne, même après la réforme de Sanchez.. Concernant le NFP, rappelons que le programme prévoyait une réforme fiscale avec 14 tranches qui aurait fait grimper l’impôt sur le revenu jusqu’à 90 %, nous sommes donc très loin de la réforme de Pedro Sanchez.

Et sur les grandes entreprises :

  • Un impôt sur les sociétés minimal à 15 %, ce qui n’est pas propre à la gauche espagnole mais simplement  la transposition d’une directive européenne. L’Espagne ne fait pas une politique fiscale de gauche mais applique juste ce que la commission européenne demande à tous les pays européens y compris la France, où le taux minimal d’IS était déjà à 15 % avant la mise en place de la directive européenne.
  • Une surtaxe de 7 % sur les banques et énergéticiens

Concernant la surtaxe d’abord, elle n’existe pas en France, c’est vrai, sauf que, ce que souhaitaient les députés de gauche c’était une taxe qui irait jusqu’à 33 %, quand en Espagne c’est seulement 7%, là encore, incomparable.

Comparons un autre point, le taux d’imposition des entreprises : le taux d’IS est de 25 % dans les deux pays, bien qu’en France il ait été relevé temporairement pour les grandes entreprises à 33%.  Comparons aussi un autre point clef : les impôts de production : 3,1 % pour la France contre 1,7 pour l’Espagne. Cela signifie que la fiscalité des entreprises en Espagne et en France est absolument incomparable.

Ne pas oublier que la gauche espagnole hérite de réformes impopulaires prises… par la droite espagnole

Un autre point que le NFP se garde bien de préciser quand il érige la gauche espagnole en modèle : Pedro Sanchez hérite d’un ensemble de réformes économiques douloureuses qui ont été mises en place par la droite espagnole avant lui (Mariano Rajoy). Des réformes austéritaires impopulaires : réduction des dépenses publiques, réforme du marché du travail introduisant plus de flexibilité, réforme des retraites passant l’âge de la retraite à 67 ans.  Un ensemble de réformes sur lesquelles le gouvernement Sanchez n’est pas revenu (il a refusé de reculer l’âge de départ à la retraite qui est de 67 ans), quand le NFP propose la retraite à 60 ans. Le gouvernement de Pedro Sanchez n’a aussi pas augmenté les dépenses de manière démesurée comme le prévoyait le NFP (233 milliards de dépenses nouvelles vs 54 milliards de hausses de prélèvements obligatoires) ; même le NFP admettait une hausse du déficit quand Pedro Sanchez s’est efforcé à le garder en-dessous des 3%. Nous pouvons aussi noter que les dépenses du gouvernement Sanchez sont  surtout centrées sur l’investissement, quand les dépenses du programme du NFP sont avant tout sociales. En clair, le NFP et les réformes mises en place par Sanchez sont incomparables.

Pour conclure

Pour conclure, l’Espagne connaît un miracle économique, c’est indéniable. Il faut dire que c’est un pays qui a traversé des crises économiques perpétuelles. A cela, rappelons plusieurs points néanmoins : ce n’est pas non plus un bilan économique parfait comme le vantent certains journalistes aveuglement avec des analyse superficielles. La croissance est forte, c’est vrai, la réduction du déficit va dans le bon sens : mais c’est une croissance sous perfusion et très fragile. Quand le NFP en fait un modèle c’est presque hilarant : le NFP prend en modèle le pays avec un des taux de pauvreté les plus élevés de l’UE (troisième derrière la Bulgarie et la Roumanie) et qui a un âge de départ à 67 ans. Non seulement le bilan économique espagnol n’est pas parfait, donc en faire un eldorado est assez étonnant de la part du NFP et surtout les réformes entreprises sont nettement moins radicales. La politique économique de Sanchez est sociale-démocrate si nous comparons au programme ultra-interventionniste du NFP. Encore une fois, l’économie est une science, qui demande des connaissances et le simplisme qui vise à comparer deux politiques économiques de pays différents : ériger l’un en modèle en prenant les chiffres qui nous arrange, c’est assez consternant. Nous pourrions faire la même chose avec le bilan économique de Meloni en Italie (plutôt positif il faut le dire) et en déduire que le RN au pouvoir ferait de la France un eldorado économique. Cela serait tout aussi stupide car les deux pays n’ont rien à voir et sans doute qu’un tel comparatif choquerait les militants de gauche français, pourtant cela est du même niveau qu’ériger la politique économique de l’Espagne en modèle pour la France.

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