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Mobilisation des agriculteurs : A qui la faute et quelles réponses apporter ? (1/2): la dimension européenne

C’est sans doute l’actualité majeure depuis 2 semains, le mouvement des agriculteurs, qui a débuté le 18 Janvier par des manifestations et des blocages routiers.  Une mort a été provoquée parmi les manifestants le 23 Janvier,  durant un blocage. Des rassemblements quotidiens ont lieu, partout en France, depuis le 18 Janvier, d’abord des blocages d’autoroute, puis, depuis le 29 janvier, un siège de Paris décidé, mais dont la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont appelé dernièrement à sa suspension. Ce mouvement prend naissance dans un contexte marqué depuis plusieurs mois par d’autres actions perpétrées par les syndicats agricoles, dont la plus médiatique a été le retournement de panneaux signalétiques durant le mois d’Octobre, en protestation, notamment, de la politique agricole menée par l’Union Européenne. Le mouvement a donc pris une autre ampleur, le ras-le-bol est toujours présent et les revendications sont toujours les mêmes : une meilleure rémunération des produits agricoles, la simplification des normes environnementales mais aussi une pause normative et surtout, une meilleure considération, notamment à l’heure où certaines associations environnementales mais aussi des partis politiques ne cessent de vilipender les agriculteurs, pointés comme étant les grands responsables du réchauffement climatique, mais aussi un meilleur contrôle de la loi Egalim ou des mesures de soutien financier aux agriculteurs.  A ce jour, le gouvernement a fait plusieurs concessions : le maintien de la détaxation du gazole non routier.  Des mouvements similaires ont aussi lieu au sein de l’Union Européenne, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et en Roumanie, c’est donc le risque d’une véritable contagion et de l’avènement d’un mouvement de grande ampleur dont il est question. Pour revenir en France, actuellement, le mouvement se perpétue et s’invite évidemment sur la scène politique à quelques mois des élections européennes et tout le monde se rejette la faute : le RN pointe le libre-échange et l’écologie punitive, la NUPES pointe le libre-échange et refuse toute autocritique sur le comportement qui a été celui d’une partie de la gauche à l’encontre des agriculteurs. La réalité, c’est que cette crise est un empilement de nombreux débats, dont certains particulièrement techniques et il serait bon de se passer de grandes formules pompeuses mais qui n’apportent pas beaucoup au débat. Une chose est sûre, nul ne peut savoir quelle sera l’issue de ce mouvement, certains parlent d’un retour aux gilets jaunes, ceci est à prendre avec beaucoup de pincettes, il est ici question de deux mouvements totalement différents. Il est néanmoins nécessaire de comprendre les enjeux de ce mouvement et surtout les solutions qui sont possibles et qui sont réalisables.

Quelques chiffres

Tout d’abord, quelques chiffres pour présenter la situation agricole actuelle.

  • Selon Web-agri.com, les agriculteurs travailleraient en moyenne 55 heures par semaine, les chiffres sont cependant très étendus, d’autres sources parlent d’une durée hebdomadaire de travail de 70 heures
  • Le salaire médian des agriculteurs, selon Jean-Marie Séronie serait de 1035 euros net par mois
  • Selon l’INSEE, 26 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté et 38 % gagnent moins de la moitié du SMIC
  • En 2023, la valeur ajoutée brute des agriculteurs a baissé de 5,3 %

Quelques chiffres édifiants qui montrent une crise réelle chez le monde agricole.  A ces chiffres nous pouvons rajouter le fait que sur les deux dernières années, 253 suicides d’agriculteurs ont été décomptés, soit un suicide tous les 3 jours.  La question qui se pose une fois les constats faits, c’est : à qui la faute ? Et c’est là qu’il est nécessaire de faire preuve d’un minimum d’expertise ce que peu de politiciens ont su faire jusqu’à présent. Nous allons ainsi nous pencher sur trois grands thèmes : la politique agricole commune, les normes et la question des prix.  Néanmoins, dans cet article, nous allons nous pencher uniquement sur les deux premiers qui concernent la dimension européenne.

La politique agricole commune

C’est celle qui est la plus critiquée, en ce moment et souvent injustement : la politique agricole commune.  Il s’agit de la politique publique mise en place à l’échelle européenne pour soutenir l’agriculture et établir les subventionnements. A ce jour,  la politique agricole commune représente 264 milliards d’euros à l’échelle européenne, allouée sur la période 2023-2027.  Cela représente 1/3 du budget de l’Europe.

Selon l’INRAE, la France est le premier bénéficiaire de la PAC avec 17 % de son budget qui est alloué aux agriculteurs Français, devant l’Espagne à 12 %.  Deuxième variable importante, que ceux qui tirent à boulets rouges sur la PAC devraient bien prendre en compte : les aides directes représentent 74 % du revenu des agriculteurs français. Cela signifie une chose simple : sans la PAC, beaucoup de nos exploitations agricoles n’existeraient plus. Si aujourd’hui,  nous sommes passés de premier pays exportateur à sixième pays exportateur, ce qui est déjà dramatique, la situation serait encore pire si nous n’avions pas de politique agricole commune, dont la France est largement bénéficiaire. Les appels à nationaliser la politique agricole commune sont donc dénués de sens.

Les critiques émanant de la gauche et des écologistes, considérant que la PAC est productiviste et encourage à la surexploitation sont aussi infondées.  Selon eux, les subventions sont attribuées à l’hectare, ce qui signifierait que les grosses exploitations seraient mécaniquement privilégiées, ce qui est faux, puisqu’il y a aussi un critère social dans la distribution des aides.

En revanche, ce qui est critiquée c’est la complexité administrative pour accéder à la PAC notamment depuis les volontés récentes de verdir celle-ci. C’est justement un point que le gouvernement souhaite étudier et il est nécessaire de demander aux principaux concernés comment simplifier administrativement ces démarches.  D’autres critiques viennent aussi contre les critères environnementaux exigés pour accéder à la PAC et la question du libre-échange, mais ça, c’est notre second point.

La question des normes

Les normes sont un vaste sujet, qui ont été largement critiquées, en particulier les normes environnementales, comme l’interdiction de produits phytosanitaires ou de pesticides.  A cette question, il y  a deux échelles à prendre en compte, d’une part : l’échelle nationale et l’échelle européenne. En France, nous avons un phénomène qui est celui de la surtransposition des normes. En plus des normes européennes, des normes nationales s’appliquent qui sont plus contraignantes. L’exemple le plus concret est celui des néonicotinoïdes, bien que cet herbicide ait été réautorisé de manière provisoire pour pallier des crises agricoles liées à des situations de grêle notamment. Il est évident que cela peut être un problème, même si dans certains domaines comme pour l’autorisation de certains pesticides, d’autres pays peuvent être plus rigides que l’Union Européenne, comme l’Allemagne, puisque cela crée clairement une distorsion de concurrence au sein même de l’Union Européenne.  La situation la plus simple serait donc de se baser exclusivement sur les normes européennes, et d’harmoniser les normes, la question se pose néanmoins de savoir si l’UE doit le faire vers le haut ou vers le bas. Dans tous les cas, il est certain que chaque interdiction de produit phytosanitaire pose aussi la question des moyens de substitution, nous le voyons avec les débats actuels sur le glyphosate. L’interdire est une chose, la question de savoir comment accompagner les agriculteurs à s’en séparer en est une autre, et celle-ci n’a jamais trouvé réponse.  En revanche, il est aussi important de noter la mauvaise foi de certains, en pointant le pacte vert, alors que celui-ci n’est pas encore appliqué.

La question du libre-échange

Au-delà de cela, se pose aussi la question des accords de libre-échange, dont le dernier en date signé a été celui de Nouvelle-Zélande.  Il est question ainsi de commercer avec des pays qui appliquent des normes sociales, environnementales et sanitaires moins contraignantes que l’Union Européenne, ce qui crée une concurrence déloyale.  Il y a deux dimensions  à cela : la première, rappeler qu’en Union Européenne, nous n’avons pas instauré de clauses miroirs dans les accords commerciaux, qui implique d’importer uniquement des produits qui respectent les mêmes normes. Il est néanmoins essentiel de rappeler qu’une telle mesure pose de grandes complexités administratives et peut faire augmenter sensiblement les coûts de production et in fine les coûts de l’alimentaire en France et en Europe.  A ce jour, néanmoins les esprits semblent évoluer.

Il est aussi essentiel de rappeler néanmoins que le libre-échange bénéficie à deux parties. Si nous ne sommes plus que sixième pays exportateur, comme dit précédemment, cela représente tout de même  un atout considérable, pour un pays de 68 millions d’habitants, même si évidemment la baisse de la capacité agricole nationale est dramatique. Néanmoins, la compétitivité agricole française ne peut se mesurer que par sa capacité exportatrice, d’où l’intérêt des accords de libre-échange, qui bénéficient aussi à la France. Il est aussi essentiel de rappeler qu’à ce jour, certains critiquent le Mercosur, alors que cet accord n’a jamais été signé et que c’est la France qui oppose son veto, à juste titre, puisqu’un tel accord provoquerait une concurrence déloyale absolument considérable pour nos exploitations françaises.

Un fait d’actualité revient récemment en lien avec cette thématique, c’est celui de l’exportation de poulets ukrainiens. Comme vous le savez, l’Ukraine est en guerre depuis le 24 Février 2022 et est en grande difficulté d’un point de vue économique. Pour soutenir l’économie Ukrainienne, l’Union Européenne a décidé d’autoriser à titre exceptionnel, l’Ukraine à exporter du poulet Ukrainien, même si celui-ci ne respecte pas les normes européennes. Cette situation provoque logiquement un cas de concurrence déloyale, par rapport aux agriculteurs européens qui respectent les normes européennes.  Evidemment, c’est un problème, mais cela a aussi une dimension éthique : doit-on faire passer la prospérité agricole ou le soutien à un pays agressé en premier ? Pour moi, il est évident que le soutien à l’Ukraine doit primer, mais il est évident que cela doit induire des conséquences. Il doit y avoir un soutien financier plus important des producteurs qui se retrouvent en situation de concurrence déloyale par rapport aux poulets Ukrainiens. C’est justement l’objectif de la PAC : dans un contexte de mondialisation, aider les agriculteurs à baisser leurs prix en compensant le manque à gagner par des aides directes.  Il faut amener une compensation mais en aucun cas, interdire l’importation de poulets Ukrainiens, ce qui serait totalement immoral.

Pour conclure

Pour conclure ce premier article, ce que nous pouvons retenir surtout, c’est que l’Union Européenne a été pendant 15 jours, une cible privilégiée pour expliquer le désarroi agricole français. Ceci est néanmoins totalement injustifié à l’heure où les agriculteurs français bénéficient largement de la politique agricole commune entre-autres.  Prochain article : nous étudierons la dimension nationale avec en particulier, la question du prix des produits agricoles.

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