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Le retour des maths au lycée :  anatomie d’une mesure hypocrite et inutile…

 Le 13 Novembre 2022, le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, a annoncé vouloir restaurer les mathématiques dans le tronc commun au lycée (en première et en terminale), qui avaient été supprimées par la réforme Blanquer du baccalauréat en 2019. Une mesure qui a tout de suite été présentée comme pleine de bon sens par plusieurs acteurs : le ministre de l’économie Bruno Le Maire, le Medef, le Président de Michelin, le CNRS, le DG de Saint-Gobain…  A titre d’exemple, l’occupant actuel de Bercy considère que cette mesure est efficace et même « un enjeu pour la souveraineté du pays » et déclare cette mesure essentielle pour « moderniser, réindustrialiser et décarboner notre pays ». D’autres, à l’instar de Bruno Bonnell disent, il faut « réconcilier les élèves avec les mathématiques ».La question est intéressante,  nous sommes un pays qui forme très peu d’ingénieurs : 38 000 chaque année, la société des ingénieurs et scientifiques estiment qu’il en faudrait 60 000 pour couvrir l’ensemble des domaines correspondant aux enjeux contemporains : le numérique, la transition écologique… Tous ceux qui sont en accord avec cette mesure disent par ailleurs que c’est une nécessité pour accomplir les défis contemporains. La réalité, c’est que, si nous manquons cruellement d’ingénieurs (et d’étudiants dans les filières scientifiques globalement en France, cette mesure ne changera strictement rien et les arguments des défenseurs de celle-ci sont pour la plupart, complètement fallacieux. Nous allons voir pourquoi !

Petit tour d’horizon du contexte

Dans un premier temps, il est essentiel de rappeler le contexte de la réforme. En 2019, Jean-Michel Blanquer a réformé le baccalauréat, il a supprimé les trois filières existantes au lycée (économique et social, scientifique et littéraire), à la place, les lycéens doivent choisir 3 spécialités parmi un panel de 12, le choix des spécialités est totalement libre, par exemple, il est possible de choisir mathématiques, littérature et économie, même si ça peut s’avérer une combinaison originale.  En plus de ces 3 spécialités, chaque lycéen, quelle que soient ses spécialités, suivait un tronc commun comportement : le français ou la philosophie s’il était en première ou terminale, les langues vivantes, l’histoire-géo, l’EPS, un enseignement scientifique et de l’éducation morale et civique.  Ainsi, à  la surprise générale, les mathématiques ne faisaient pas partie du tronc commun et donc n’étaient pas obligatoires pour tous les lycéens… Vous remarquerez que j’ai volontairement employé le terme « ne faisaient pas » et non pas « ne faisaient plus », puisque c’est justement, à ce stade, qu’a été véhiculée une fake-news démentielle, par les enseignants comme des politiques y compris l’actuel ministre de l’éducation nationale, selon laquelle les maths auraient été supprimées du tronc commun, et donc plus obligatoires pour tous. La réalité, c’est que les mathématiques n’ont jamais été obligatoires pour tous les lycéens. Avant la réforme, il existait trois filières : L, S, ES. Les mathématiques faisaient partie du tronc commun en ES et en S mais pas en L ! Pour les lycéens en filière littéraire, les maths étaient optionnels et jamais obligatoires, ce qui signifie que quand un journal, aussi réputé soit-il,  que le Monde déclare : « Depuis 2019, les mathématiques avaient disparu du tronc commun » c’est tout simplement faux, puisqu’elles  n’en n’ont jamais fait partie.  C’est à ce moment que ça devient très intéressant :  pourquoi n’a-t-on pas forcé les élèves en littéraire à faire des mathématiques, alors que les pénuries dans les filières scientifiques étaient déjà une réalité à cette époque,? Pour une raison simple : un élève qui choisit des études dans la filière littéraire ne devrait, a priori, pas s’orienter vers une école d’ingénieur ou des études scientifiques (A part si nous prenons le cas de Didier Raoult qui a suivi des études littéraires avant de se lancer dans la recherche, d’ailleurs, tout le monde peut en voir le résultat !).

L’impact de la réforme Blanquer

Ainsi, les mathématiques ont été intégrées dans la réforme comme étant une spécialité, libre au lycéen de la choisir ou non. La spécialité « mathématiques » s’est avérée s’adresser particulièrement à un profil scientifique, à titre d’exemple, ils est considéré que la spécialité en première, comporte 25 % du programme de l’ancien programme de terminale S.  Ainsi, le nombre de lycéens choisissant la spécialité « mathématiques » a diminué : en 2021, c’était 64,1 % des élèves qui choisissaient les mathématiques alors qu’ils étaient 90 % avant la réforme. Les inégalités hommes/femmes sont également visibles sur cette réforme, seules 48 % des filles choisissent cette spécialité. Ainsi, une sorte de « fossé » s’est creusé, le choix se réduit entre : faire des mathématiques scientifiques assez poussées ou ne pas faire de mathématiques.  Ainsi, pour remédier à cela, le ministre de l’éducation nationale a annoncé intégrer (et non rétablir vous l’aurez compris) les mathématiques dans le tronc commun. Depuis la rentrée 2022, les élèves qui ne suivent pas la spécialité « mathématiques » ont la possibilité de suivre une option d’1h 30 par semaine de mathématiques moins élaborées, à partir de la rentrée 2023 ce sera le cas pour tous ceux qui ne suivent pas la spécialité maths.  Les arguments ont déjà été cités plus haut : celui de la nécessité d’avoir plus d’étudiants dans les filières scientifiques mais aussi réduire les inégalités filles/garçons. La réalité, en faisant ça, le ministre fait un choix inutile et qui pourrait même s’avérer contreproductif par rapport à sa volonté initiale. Cette mesure, c’est un peu comme placer un emplâtre à un individu à la jambe gauche alors qu’il est blessé à la jambe droite.

Une mesure à contresens

Pour comprendre l’incohérence totale de cette mesure, il suffit de se référer à ce que nous avons vu juste avant : pourquoi les mathématiques n’étaient pas obligatoires pour lycéens en filière L ? Tout simplement, parce-que nous avions compris que c’était inutile d’essayer de convaincre de devenir scientifiques  des lycéens à 16 ans, qui ont choisi de suivre des études littéraires.  La problématique est exactement la même ici, il est indéniable que la France manque d’étudiants en filières scientifiques, mais soyons clairs, parmi les lycéens, ceux qui ont vocation à œuvrer dans le domaine du numérique, de l’écologie, de la médecine, suivront la spécialité « mathématiques » et ceux qui ne la suivent pas n’ont pas vocation à travailler dans ces secteurs. Concrètement, un lycéen qui a choisi de s’orienter vers une voie littéraire, des sciences sociales, de la géopolitique, en filière artistique ne se découvrira, a priori, pas une vocation scientifique dans ses études, et, le fait qu’il suive 1h30 de mathématiques par semaine ou non. En réalité, le gouvernement fait un constat qui est juste, mais il tape à côté !

Ce qu’il faut faire : s’attaquer au problème dès le plus jeune âge !

En réalité, traiter le problème à partir du lycée c’est s’assurer qu’il ne sera jamais résolu : c’est beaucoup trop tardif.  Concrètement, les élèves arrivant  à l’âge d’entrer en classe de première ont déjà une idée, plus ou moins vague de leur projet d’orientation, du moins, de leurs affinités avec les matières. Si un élève en arrive à ne pas suivre la spécialité « mathématiques », c’est que, visiblement, celui-ci a compris qu’il n’avait pas d’affinités avec cette discipline et donc il sait pertinemment qu’il ne s’orientera pas vers des études scientifiques. En revanche, il est vrai que le fossé entre ne pas faire de mathématiques ou faire des mathématiques scientifiques était un peu trop large,  et l’idée initiale, appliquée depuis la rentrée 2022, de laisser la possibilité aux lycéens en première ne suivant pas la spécialité mathématiques de choisir 1h30 d’option maths par semaine était une excellente idée qu’il aurait fallu maintenir ainsi,  et laisser en paix ceux qui n’ont pas d’affinités avec cette discipline. L’ambition du lycée est de spécialiser les élèves dans leurs matières fortes et non pas de continuer à les étouffer avec des disciplines qui n’ont rien à voir avec le parcours qu’ils comptent poursuivre, ceci, c’est le rôle du collège et de l’école primaire, et c’est justement à ce stade qu’il y a un problème. Si nous formons trop peu de lycéens en filières scientifiques, ce n’est pas parce-que les mathématiques sont absentes du tronc commun, c’est parce-que, justement, trop peu d’élèves arrivent en première avec la volonté de suivre des études scientifiques. C’est donc avant le lycée qu’il faut résoudre le problème, et pour cela, des mesures fortes doivent être prises, dès le plus jeune âge.

La première chose, il y a un problème cruel d’acquisition des compétences en mathématiques en primaire, pour cela il faut que la formation initiale des enseignants soit à la hauteur, il faut savoir qu’en 2016, déjà, le directeur du CNESCO (centre national d’étude des systèmes scolaires) alertait sur une formation initiale des enseignants en mathématiques qui n’est pas du tout adaptée.  Il faut aussi, ne pas avoir honte de s’inspirer des pays où les résultats sont bons. Une méthode est très connue, celle de Singapour, premier pays dans le classement PISA en mathématiques ; contrairement, à un cliché qui pourrait être répandu, les enfants à Singapour n’ont pas de bons de résultats en mathématiques du fait qu’ils travaillent comme des forcenés. La réalité, c’est que l’enseignement des mathématiques en primaire à Singapour, repose davantage sur de la modélisation, la manipulation, les jeux, l’utilisation. Cette méthode fonctionne, elle, a fait ses preuves. Un rapport a par ailleurs été rendu en 2018, au ministre de l’éducation nationale, insistant à s’inspirer de la méthode Singapour, par l’ombre d’un avancement depuis !

Il faut arrêter avec cette théorie de l’homogénéisation forcée avec des élèves aux niveaux complètements hétérogènes.

Il faut donc relever le niveau en école primaire et fournir des bases solides en mathématiques en s’inspirant de ce qui fonctionne ailleurs. Une fois au collège, il est nécessaire de changer radicalement de modèle et donc d’en finir avec le collège unique. Il faut instaurer des groupes de compétences en mathématiques mais aussi en Français et anglais, à partir de la 5ème, pour repérer clairement les élèves qui ont des facilités en mathématiques et qu’il faut pousser vers des études scientifiques, ceux qui ont besoin d’un léger soutien pour arriver à ce stade, ceux qui ont un niveau correct et ceux qui sont en difficulté. Il faut arrêter avec cette théorie de l’homogénéisation forcée avec des élèves aux niveaux complètements hétérogènes. Le collège unique : rassembler des élèves avec le même niveau, ça ne fonctionne pas, ça ne bénéficie à aucun élève, essayons autre chose.

Enfin, il est impossible d’aborder ce sujet sans questionner le fonctionnement même de l’éducation nationale

Il est évident que la France manque d’enseignants en mathématiques, premièrement parce-que les filières scientifiques ne comportent pas assez d’étudiants, ainsi, le serpent se mord la queue. Il est vrai également qu’il y a un déficit d’attractivité de la fonction d’enseignant : aujourd’hui, les enseignants sont faiblement rémunérés en début de carrière et bénéficient d’une progressivité forte en matière de rémunération, jusqu’à dépasser la moyenne européenne en fin de carrière : et si nous faisions l’inverse ? Une rémunération forte dès le début de carrière avec une progression très faible par la suite. Peut-être qu’il serait aussi bon d’arrêter de vouloir à tous prix envoyer les enseignants débutants dans des zones REP pour leurs premières années, et céder ces places à des enseignants plus expérimentés.  Nous pourrions aussi questionner le volume. La tentation a toujours été d’augmenter les dépenses en matière éducative, pourtant, à l’échelle de l’OCDE, nous sommes au-dessus de la moyenne en matière de dépenses d’éducation par rapport au PIB (5,2 % contre 4,9 % en moyenne) pourtant nous avons des résultats très en-deçà de la moyenne. Peut-être faudrait-il songer à réduire le volume d’enseignants et donc avoir moins d’enseignants mais mieux rémunérés et mieux formés.  C’est ici que la méthode de Pap Ndiaye est complètement contreproductive : des enseignants vont être mobilisés à donner 1h30 de cours de mathématiques par semaine au lycée, alors que nous manquons d’enseignants au collège : quelle est la logique ?  Si nous voulons mieux rémunérer les enseignants ou augmenter les effectifs en mathématiques, peut-être faudrait-il réduire le volume dans les autres matières ? Avons-nous besoins d’autant d’enseignants en EPS ? Avons-nous besoin d’imposer un enseignement scientifique à tous les lycéens dans le tronc commun ? (comme dit auparavant, ce ne sont pas des lycéens en spécialités littéraires qui vont se découvrir une vocation scientifique). Voilà le vrai débat. En revanche, une question mérite d’être posée, pour élargir le sujet : nous sommes un pays qui manque cruellement de culture économique et il serait grand temps que l’économie entre dans le tronc commun, pour que les citoyens puissent acquérir une culture économique digne de ce nom (pour qu’ils arrêtent  d’affirmer que la retraite à 60 ans c’est parfaitement faisable et qu’il suffit de taxer les plus riches, rattraper les méchants évadés fiscaux et virer les étrangers pour financer une telle mesure). Ainsi, si nous voulons vraiment que tous les lycéens gardent un pied dans les mathématiques, il pourrait être judicieux de créer une discipline obligatoire mêlant économie et mathématiques appliquées. Cela permettrait d’acquérir une solide culture économique indispensable à tout citoyen éclairé tout en combinant la nécessité d’avoir les bases en mathématiques.

Pour résumer, ce qu’il faudrait, c’est du courage et de la volonté

Il est temps de mettre en œuvre des vraies réformes dans le domaine éducatif qui n’ont pas été faites : autonomie des établissements, décentralisation, autorité du ministre sur les enseignants, une véritable politique de formation initiale et continue. Jean-Michel Blanquer avait déjà impulsé des réformes très courageuses (à commencer par celle du baccalauréat),  espérons que Pap Ndiaye cessera de vouloir s’imposer comme l’opposé à son prédécesseur

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