Société

Interdiction de l’abaya à l’Ecole :  le retour de l’universalisme au sommet de l’éducation nationale ?

Alors que demain aura lieu la rentrée scolaire, le 27 août 2023, il y a donc une semaine, le ministre de l’éducation nationale, fraichement nommé, Gabriel Attal a annoncé plusieurs mesures concernant la reprise des cours. Parmi elles, une a été particulièrement médiatisée et pour cause : l’interdiction du port de l’abaya à l’école.

Pour mémoire, l’abaya est un vêtement traditionnel féminin (photo en-dessous), une robe longue et couvrante, tenue souvent portée par les pays orientaux. Le port de cette tenue à l’école a été l’objet de nombreuses polémiques, notamment au regard de la loi de 2004.  Alors que Pap Ndiaye, le ministre de l’éducation nationale précédent, se refusait à prendre une telle mesure, son successeur a choisi de mettre les pieds dans le plat, quitte à s’attirer les foudres de l’extrême gauche mais aussi à faire face à une pression communautariste forte. Aborder ce thème, sera l’occasion d’en présenter les grands enjeux et d’élargir à la question essentielle de la montée du séparatisme à l’Ecole.

L’interdiction de l’abaya, une mesure controversée

Le 27 Août 2023, Gabriel Attal, ministre de l’éducation nationale depuis le 20 Juillet 2023 a annoncé l’interdiction du port de l’abaya à l’Ecole. Cette mesure fait en réalité suite à un an presque de longues polémiques autour de ce vêtement à l’Ecole : tout d’abord en août 2022, le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation a publié une note dans laquelle il considérait que commençait à naître, sur Internet, un début de ce qui pourrait être appelé du prosélytisme religieux, de la part de mouvances islamiques, incitant les jeunes femmes à porter ce vêtement pour contourner la législation actuelle sur les signes religieux à l’école.  Pour rappel, en 2004, a été adoptée une loi visant à prohiber le port de signes religieux ostentatoires à l’Ecole, sont ainsi inclus :  la kippa, le voile, le turban. En revanche, d’autres signes religieux discrets, comme la croix ne sont pas prohibés si ceux-ci sont cachés. La décision est ainsi fondée selon cette loi de 2004, considérant que l’abaya est un vêtement religieux, et donc, qu’il n’a pas sa place à l’Ecole (en vertu de la législation actuelle).  Auparavant, les directives n’étaient pas claires, Pap Ndiaye avait refusé d’interdire le port de ce vêtement, préférant laisser libre choix aux chefs d’établissement, chose particulièrement problématique, puisqu’elle faisait porter directement la responsabilité aux chefs d’établissement, et quelque part, pouvait éventuellement les exposer à de la diffamation, des accusations de racisme, des menaces, voire pire, n’oublions jamais ce qu’il s’est passé le 16 Octobre 2020. Le fait que ce soit le ministère de l’éducation nationale qui interdise directement le port de ce vêtement est ainsi une bonne chose, elle permet aux chefs d’établissement de justifier leur décision en raison des directives données et donc de ne pas s’exposer au danger.

Cette mesure, a été très bien accueillie par l’opinion : 71 % d’approbation selon Elabe et a reçue le soutien majoritaire de la classe politique :  de l’extrême droite à une partie de la gauche (Fabien Roussel a annoncé soutenir cette interdiction).  Même Sophie Binet a soutenu cette mesure, c’est dire ! Néanmoins, une partie de la classe politique s’est opposée à cette mesure, évidemment, ce sont toujours les mêmes : la France Insoumise ! Manuel Bompard a ainsi annoncé vouloir saisir le conseil d’Etat contre cette décision.

Le virage communautariste de LFI

Le moins que nous puissions est que la qualité de l’argumentaire de LFI est particulièrement risible. Jean-Luc-Mélenchon a critiqué cette décision, jugeant, à l’instar du CFCM, que « l’abaya n’avait à voir avec la religion ». Ainsi, la saisie du conseil d’Etat serait ainsi justifiée par le fait que cette mesure serait illégale aux yeux de la loi de 2004, puisque l’abaya serait un vêtement culturel et non religieux. C’est du moins, la raison invoquée par les insoumis, mais, dans le même temps, les députés insoumis ont été les premiers à crier à l’islamophobie. Selon Clémentine Autain, cette décision est anticonstitutionnelle, contraires aux principes fondateurs de laïcité et symbole du rejet symptomatique des musulmans. Une question se pose alors : si l’abaya n’est pas un vêtement religieux mais traditionnel, en quoi l’interdiction de l’abaya serait islamophobe ? De même, le président du CFCM (conseil français du culte musulman) déclare que cette décision serait infondée, puisque l’abaya serait une « mode » et non un vêtement religieux : ainsi, de quoi se mêle le CFCM, puisque selon ses dires, cette décision ne ciblerait en aucun cas les musulmans ?

Une chose est certaine, Jean-Luc Mélenchon, l’ancien laïcard assumé, qui disait, en 2015 : «  Je conteste le terme d’islamophobie, quoique je le comprenne. Ce sont les musulmans qui pensent qu’on leur en veut parce qu’ils sont musulmans. Moi, je défends l’idée qu’on a le droit de ne pas aimer l’islam ; on a le droit de ne pas aimer la religion catholique et que cela fait partie de nos libertés », a changé brutalement de discours. Aujourd’hui, la tonalité est victimaire, les musulmans seraient victimes d’une discrimination permanente de la part de l’Etat qui lui-même serait islamophobe. La réalité, c’est qu’en tenant ce genre de discours incendiaire, LFI en vient tout simplement, sans vouloir le dire, à remettre en cause la loi de 2004. Or, il a été défini, sous Ferry, que l’Ecole est laïque et donc, aucun religion n’a sa place au sein de l’Ecole, puisque c’est censé être un lieu, préservé de toutes revendications religieuses et surtout émancipateur contre l’obscurantisme.  Quand certains parlent d’une « offensive islamophobe », nous pouvons appeler cela comme nous voulons, la réalité, c’est que c’est effectivement une mesure ciblée contre la religion musulmane puisqu’il est considéré aux yeux de la loi, que la religion n’a pas sa place dans les enceintes de l’Ecole, et jusqu’à preuve du contraire, des revendications vestimentaires n’émanent pas d’autres religions dans les Ecoles publiques. Critiquer cette mesure en la taxant d’islamophobe, c’est remettre en cause le fondement même de la laïcité à la française, puisque ce serait considérer que le port de vêtements religieux au sein de l’Ecole serait acceptable. Ne pas oublier, que la loi de 2004, a été approuvée en très grande majorité par la gauche (sur les 163 députés à l’époque, de gauche, 147 avaient voté la loi). De même, dire que l’abaya n’est pas un vêtement religieux c’est en réalité omettre que seules des musulmanes portent une abaya, donc, de fait, c’est un habit religieux.

En France, nous avons une conception particulière de la  laïcité, héritée des radicaux et totalement différente de la conception ouverte ou libérale dans les pays anglo-saxons. C’est une laïcité républicaine, qui garantit la liberté religieuse mais considère une neutralité de l’Etat et un périmètre sacré qu’est l’Ecole, où la religion est exclue.

Le changement de discours de Mélenchon sur la laïcité est surtout symptomatique d’un clientélisme électoral. Pour rappel, selon l’IFOP, à la présidentielle 2022, au premier tour, 69 % des musulmans ont voté pour Mélenchon. Ainsi, pour élargir sa base électorale, Jean-Luc Mélenchon est prêt à remettre en cause ses idéaux et surtout à mettre en péril ce qui a été le ciment de trois Républiques successives en France : la laïcité ! Finalement, en considérant que l’interdiction de vêtements religieux serait islamophobe et symptomatique d’obsession envers les musulmans, ce serait considérer que la loi doit s’adapter à la religion, or l’idée même de laïcité fixe que la loi républicaine est supérieure à la loi religieuse. C’est inquiétant, cela montre qu’un vote communautaire se forme, persuadé d’être des victimes permanentes et prêt à remettre en cause les lois républicaines.

l’Ecole en danger ?

Demain aura lieu la rentrée scolaire, ce que nous savons, c’est qu’il y aura des résistances, peut-être même une volonté provocatrice de la part de certaines élèves de s’opposer à cette mesure en venant habillées de la sorte. La pression qui repose sur les épaules des chefs d’établissements en cette veille de rentrée est immense. Ce qui est certain, c’est que la venue d’élèves en abaya, n’est pas un événement anodin et la décision du ministre de l’éducation nationale est évidemment justifiée. Le communautarisme à l’Ecole, existe, l’abaya en est la preuve, nous savons jusqu’où cela peut mener. Le communautarisme à l’Ecole, ce n’est pas seulement le port d’un vêtement religieux, c’est aussi la cause de la censure de certains enseignants qui n’osent pas enseigner des faits comme la laïcité ou la liberté d’expression. Montrer les caricatures à l’Ecole : un enseignant l’a payé de sa vie ! En tant qu’ancien lycéen, j’ai toujours été choqué par le fait qu’on nous ait expliqué en cours de philosophie,  quelques mois avant le bac, qu’il était inutile de réviser le thème de la religion (faisant pourtant partie du programme !) puisque c’est un thème tellement sensible qu’il y avait très peu de chances que le sujet de l’examen porte sur cela, ce qui est vrai puisque cela fait des années que le thème de la religion n’est pas paru au baccalauréat de philosophie. Cela n’a rien d’anodin, au contraire, cela montre, que dans la matière censée être le symbole même de l’émancipation intellectuelle, de la liberté de penser, du débat, il n’est plus possible d’aborder le thème de la religion au risque de subir un courroux communautariste.  Nous savons que la population musulmane, va augmenter, évidemment dans des proportions bien moindres que ce qui est affirmé par Eric Zemmour avec son grand remplacement, la France devrait compter selon  le Pew Research Center : 18 % de musulmans. Aujourd’hui, selon l’INSEE, la France en compte 10 %. Si l’Ecole n’est pas capable de faire face aux pressions communautaristes, comment elle fera dans les années à venir ? L’interdiction de l’abaya est une étape, majeure et qui est essentielle de tenir, il en va de l’avenir de notre laïcité. Mais il faut aller encore plus loin : Evaluer les valeurs républicaines en fin de CM2, contrôle systématique  des familles dès qu’un enfant tient des propos antirépublicains,  contrôle accru des écoles hors-contrats et fermetures de celles-ci lorsqu’elles ne respectent pas la mixité.  Il faut pousser plus loin l’enseignement des valeurs républicaines. Surtout, demain, la rentrée scolaire aura lieu, des enseignants devront demander à des élèves de retirer leur abaya, il est essentiel, pour ce qu’il s’est passé  le 16 Octobre 2020 ne se reproduise jamais, qu’ils soient soutenus par leur hiérarchie et surtout, que s’ils sont victimes de menaces, qu’ils soient mis sous protection.

Une mesure qui n’est pas islamophobe

En clair, oui, le gouvernement en prenant cette mesure, cible un vêtement religieux, musulman en l’occurrence, mais, ce n’est en aucun cas islamophobe, cette mesure est prise pour faire respecter une loi qui prohibe tout port de signes religieux dans l’enceinte de l’Ecole. Cette décision est courageuse de la part du ministre de l’éducation, il faut le souligner, surtout dans un contexte où parler de religion soulève tout de suite une levée de boucliers phénoménale. Reste à l’appliquer. Qu’avons-nous retenu des émeutes de cet été ? Que des pressions communautaristes naissent partout en France, dans les banlieues et l’Ecole en est le réceptacle. Si nous ne faisons rien, nous prenons le risque de voir progresser une mouvance fondamentalement antilaïque et c’est la porte ouverte à la dissolution de la cohésion sociale et nationale. Rappelons-le, seule une minorité des musulmans pose problème à la République mais si nous ne faisons rien pour lutter contre le communautarisme en premier lieu à l’école, c’est la porte ouverte très prochaine, à une victoire des idées stigmatisantes et identitaires,  au sommet de l’Etat.

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