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Crise migratoire de Lampedusa : révélatrice d’un dysfonctionnement européen ?

Ce dossier semble s’imposer comme le sujet majeur de cette rentrée politique, en France et en Europe : l’immigration ! La question de l’asile de l’immigration est passée sur le devant de la scène pour deux raisons majeures : la crise migratoire ayant débuté le 14 septembre 2023 à Lampedusa (Italie) et le projet de loi relatif à l’asile et l’immigration qui commence à être débattu à l’Assemblée nationale.  Cette thématique est complexe,  éruptive et éminemment sujette à des contre-vérités de part et d’autre.  Faire un article unique sur l’immigration et l’asile est, à mon sens, impossible, tant le sujet est vaste et complexe. De plus, il est nécessaire de différencier à la fois l’asile de l’immigration, et les échelles nationale, européenne et internationale. Ainsi, cet article abordera la question de l’asile et de l’immigration à l’échelle européenne et prochainement, un article sortira prochainement sur le projet de loi du gouvernement relatif à l’asile et l’immigration.

De quoi parle-t-on ?

Petit rappel du contexte européen. Les 14 et 15 Septembre 2023, sur l’île de Lampedusa en Italie, des migrants sont arrivés par milliers (chiffre estimé à au moins 11 000).  Ceux-ci provenaient principalement de Tunisie et de Libye qui ont fait office de pays de Transit est connue pour avoir toujours été un lieu d’arrivée massif de migrants en raison de sa proximité avec ces pays.

Cet afflux massif de migrants en Italie a provoqué une réelle crise à l’échelle européenne, l’Italie de Georgia Meloni s’étant notamment  plaint de ne pas être aidée par les autres pays européens dans la gestion de cet afflux massif de migrants . L’Union Européenne a ainsi présenté un plan de crise en 10 points, prévoyant notamment les mesures suivantes :

  • Une solidarité européenne renforcée
  • Un dialogue renforcé avec les pays d’émigration pour notamment limiter le nombre de départs
  • Accroître la sensibilisation relative à la dangerosité de la traversée de la méditerranée et  au contraire, promouvant les voies légales d’immigration (notamment l’admission humanitaire).
  • Un encouragement aux pays européens à déployer le « mécanisme de solidarité volontaire »  (en clair, un mécanisme prévoyant que les demandes d’asile, qui normalement doivent être étudiées par le pays d’arrivée soient réparties dans d’autres pays qui se portent volontaire)

En lisant ce plan, nous pouvons constater que celui-ci est véritablement un mix entre un emplâtre et une plaisanterie.

  • Une solidarité européenne renforcée : qui peut être contre une telle mesure ? Il serait en effet bon d’y songer, puisque les hotspots Italiens à Lampedusa (lieu où sont placés les arrivants en attente) sont littéralement submergés. Cependant, nous constatons qu’il s’agit d’une solution de dernière minute et légèrement prise dans la précipitation.
  • Un dialogue renforcé avec les pays d’émigration pour notamment limiter le nombre de départs : un tel accord a en réalité déjà été passé avec la Tunisie, en échange d’une aide financière, la Tunisie se devait d’empêcher les départs d’émigrants en provenance de l’Europe. Visiblement, cela fonctionne à merveille !
  • Accroître la sensibilisation relative à la dangerosité de la traversée de la méditerranée et  au contraire, promouvant les voies légales d’immigration (notamment l’admission humanitaire) : en lisant ceci, nous pourrions réellement croire qu’il s’agit d’une funeste plaisanterie. Comment peut-on imaginer une seule seconde, que des individus qui s’apprêtent à traverser la méditerranée n’ont pas conscience de la très légère dangerosité de commettre un tel acte ? En revanche, expliquer précisément les voies légales peut être pertinent, mais il est bon de rappeler que si ces personnes viennent en bateaux et arrivent à Lampedusa (souvent par le biais de passeurs), c’est, le plus souvent, parce-que venir en avion coûte beaucoup plus cher.

Le dernier point mérite une attention particulière. Le mécanisme de solidarité volontaire n’a, visiblement pas été tellement respecté puisque l’Allemagne et la France ont annoncé qu’elles ne prendraient pas de migrants venus d’Italie (même si les deux pays sont plus ou moins revenus sur leur position).

La réalité, c’est que nous voyons clairement que l’Union Européenne n’est pas prête à faire face à ce genre de crises et que le modèle européen de gestion de l’immigration est tout simplement obsolète. Ce ne sont pas des mesures d’urgence qui permettront de faire face aux crises futures (parce qu’il est évident que d’autres afflux massifs arriveront en Europe dans les années et peut-être même dans les mois qui viennent).

Le contexte politique Italien

Tout d’abord, il est bon de rappeler le contexte politique en Italie. Giorgia Meloni, présidente du parti Frère d’Italie a été élue en prenant la tête d’une coalition gouvernementale composée de partis de droite (Forza Italia fondé par Sylvio Berlusconi) et d’extrême droite (la ligue du nord de Matteo Salvini et Frères d’Italie). Cette coalition électorale a obtenu la majorité absolue des sièges au parlement lors des élections générales italiennes de Septembre 2022. Parmi les mesures proposées par Giorgia Meloni (qui avait fait de l’arrêt de l’immigration son cheval de Troie) figurait une mesure que même Matteo Salvini (qui est loin d’être un tendre en matière d’immigration) n’osait pas proposer : la création d’un blocus naval aux frontières européennes. Depuis, les temps ont bien changé, Giorgia Meloni est revenue profondément sur son programme en matière migratoire, allant même jusqu’à déclarer que l’Italie avait besoin d’immigration pour combler le déficit de main d’œuvre (L’Italie connaissant également une grave crise démographique). Ce qu’il est assez aisé de constater, est que les solutions préconisées par l’extrême droite en Europe ne fonctionnent pas, en témoigne cette crise migratoire.  Néanmoins, il y a une réalité que nous ne pouvons nier, Giorgia Meloni reste très populaire, son parti est donné largement en tête dans les sondages pour les prochaines élections européennes en Italie. Le fait est qu’il est vrai que les Italiens sont confrontés depuis de nombreuses années à des afflux massifs de migrants et se retrouvent bien souvent seuls à gérer ces crises. La colère de la population Italienne envers ceci est réelle et doit être entendue. Evidemment, la réponse populiste n’est pas la bonne : mettre en place un blocus naval serait littéralement inhumain et surtout consisterait à déclarer la guerre à la Tunisie et à la Libye. Le problème vient en réalité surtout de la législation européenne sur les questions migratoires.

Le règlement de Dublin

Tout part en réalité du règlement dit de Dublin sur la question de l’asile en Europe. Ce règlement prévoit notamment une mesure qui est particulièrement problématique : la demande d’asile ne peut être traitée que dans le pays d’arrivée, sachant que l’Italie est un pays se situant aux côtes européennes et à proximité de la Tunisie, il est évident qu’elle se retrouve submergée. La seule alternative existante est, lorsqu’en cas d’afflux, un pays européen accepte de déclencher le mécanisme de solidarité volontaire, mais nous avons pu constater que peu de pays acceptent de se plier à cette règle. Il est donc plus que temps de faire évoluer cette règle :

  • Un arrivant en Europe doit pouvoir présenter la demande d’asile dans le pays de son choix (des garde-fous doivent néanmoins être prévus pour éviter que des pays soient submergés)
  • Il est évident en revanche que la demande d’asile ne peut être déposée que dans un seul pays, ce qui est déjà prévu par le règlement Dublin
  • Dans le même temps, il faut durcir la législation, un demandeur d’asile ayant vu sa demande rejetée dans un pays européen ne doit pas pouvoir présenter une demande dans un autre pays européen (c’est notamment ce qu’il s’est passé avec le demandeur d’asile ayant été responsable de l’attentat d’Annecy en Juin 2023).
  • Autre piste : remplacer le mécanisme de solidarité volontaire actuel par un mécanisme de répartition dans chaque pays en fonction de la démographie du pays, du rapprochement familial et autres.  

Il serait bon de rappeler un point : 11 000 arrivants sur une île de 6 000 habitants, c’est littéralement une submersion. 11 000 arrivants répartis sur 27 pays européens, cela fait 408 demandes à traiter par pays en moyenne, anecdotique !

Une telle réforme ne peut néanmoins être prise sans une harmonisation profonde des procédures d’asile en Europe : il faut un droit d’asile européen, les aides sociales et économiques aux demandeurs d’asile doivent être harmonisées à l’échelle européenne. Si un pays est plus attractif qu’un autre, nous serons confrontés au même problème.

En ce qui concerne la lutte contre l’immigration clandestine, il faut durcir le ton sur les accords de réadmission, notamment en jouant sur le nombre de visas ou l’aide publique au développement. Une augmentation des effectifs de Frontex paraît également inévitable compte tenu de l’augmentation des migrations.

Quelle échelle est la bonne ?

Néanmoins, cette crise nous enseigne plusieurs choses. L’échelle mondiale serait idéale pour gérer un tel événement : une gouvernance mondiale de l’immigration et de l’asile serait le meilleur moyen d’éviter ces crises migratoires.  Néanmoins, cette solution est clairement utopiste. L’échelle nationale est pertinente pour gérer l’immigration et l’asile, nous ne pouvons éviter un débat une politique nationale sur l’immigration, néanmoins cette échelle a des limites. Ainsi, l’échelle idéale est clairement européenne. Le problème étant que l’Union Européenne est aujourd’hui, nous le voyons, victime de sa bureaucratie et de sa complexité. Des pays européens nombreux, refusent de prendre leur part dans la gestion migratoire, pourtant si chacun des 27 pays acceptait des migrants à échelle de sa population, il n’y aurait même pas de crise. Certains pays refusent des migrants de manière justifiée, comme la Pologne qui doit déjà gérer la question des Ukrainiens en protection temporaire. Néanmoins, le problème migratoire en Europe n’est pas le chiffre mais bien la répartition, mais comment changer cela dans une Union Européenne qui ne fonctionne que par un vote par consensus ? Enfin, le seul point positif de cet événement est qu’il nous invite à constater que les solutions portées par l’extrême droite, en plus d’être simplistes, sont totalement inefficaces.

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