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Ukraine : entre naïveté et dramatisation extrême : une troisième voie est-elle possible ?

2 ans et 3 mois presque après le début de la guerre en Ukraine, le sujet est revenu brutalement sur la table, après trois évènements phares :

  • La mort d’Alexeï Nalvany le 16 Février
  • Les propos d’Emmanuel Macron du 27 Février suggérant qu’il n’excluait pas l’envoi de troupes en Ukraine et sa réitération le 2 mai 2024
  • La signature d’un accord de sécurité bilatéral avec l’Ukraine le 15 Février 2024, puis son vote à l’Assemblée Nationale le 13 Mars

Une actualité en chasse une autre : après les émeutes, les punaises de lit, le conflit Israël-Hamas, Crépol, la loi immigration, les agriculteurs, les médias ont remis pendant un court temps la focale sur le conflit russo-ukrainien, pour combien de temps ? Depuis, d’autres évènements ont pris le dessus du calendrier médiatique, mais une chose est sûre: cette thématique restera prégnante pour la campagne à venir des élections européennes.

Néanmoins, cette remise en avant de ce thème, particulièrement depuis la mort d’Alexeï Navalny et surtout les propos d’Emmanuel Macron, une escalade verbale a poursuivi, dernièrement, Vladimir Poutine a dit que la Russie était prête à une guerre nucléaire, après avoir dit quelques jours plus tôt que l’arsenal nucléaire Russe pouvait atteindre des capitales occidentales. C’est le propre de la dissuasion nucléaire.

L’émotion médiatique reprend dessus, mais elle se dissipera comme cela déjà été le cas dans le passé, néanmoins, le conflit sera toujours en cours et il l’est depuis deux ans, tantôt l’Ukraine, tantôt la Russie l’a, et depuis quelques mois, l’avantage est clairement du côté de Vladimir Poutine, surtout dans un contexte où l’aide aux USA a mis du temps à arriver avant de finalement être votée par le congrès, bloquée par le congrès et ce, d’autant plus que l’élection présidentielle américaine approche, opposant Donald Trump aux velléités isolationnistes et Joe Biden le président sortant. Bref, tout un ensemble de paramètres à prendre en compte dans ce conflit. Alors que les analyses – parfois de comptoir- s’enchainent, il est bon de revenir à quelque chose qui devrait être fondamental : le pragmatisme ! Ni la naïveté, à l’égard du risque que représente ce conflit pour la civilisation occidentale, ni la dramatisation extrême, qui vise à s’imaginer déjà le début d’une Troisième Guerre Mondiale : expression qui n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens.

La situation française

Revenons donc à un premier point : les propos d’Emmanuel Macron, disant qu’il ne fallait pas exclure l’envoi de troupes en Ukraine ce qu’il a réitéré il y a 1 semaine. Propos qui ont suscité une levée de bouclier, sur la scène politique nationale mais aussi au sein de l’ensemble des dirigeants occidentaux. La surenchère s’est poursuivie lorsque le Président français a dit « il n’y a aucune ligne rouge au soutien de la France à l’Ukraine contre la Russie » et qu’il pourrait envoyer des troupes si celle-ci venait « percer les lignes du front ».

Dans les premiers propos, Emmanuel Macron a été profondément maladroit et ce n’est pas la première fois de sa part, le problème étant que nous parlons d’un conflit armé. Le problème d’autant plus, est que ses propos donnent des billes aux populistes d’extrême droite et d’extrême gauche qui alimentent des fausses peurs, faisant imaginer aux français que leurs enfants partiront au front en Ukraine avec un sac à dos, un casque et un fusil. Si des jeunes lisent cet article : rassurez-vous personne ne vous forcera à partir au front ! Si des parents lisent cet article : rassurez-vous, personne ne forcera vos enfants à partir au front !

La dernière mobilisation générale remonte à 1914 et pour cause ! C’est une logistique totalement inimaginable de mobiliser plusieurs millions de soldats sur un front, il faudrait déjà rétablir un service national, et pas de six mois, au minimum d’1 an, pour former des millions de citoyens à la guerre mais aussi aux soins, etc…  Donc quand Marine Le Pen a tweeté suite aux déclarations de Macron : «Emmanuel Macron joue au chef de guerre mais c’est la vie de nos enfants dont il parle avec autant d’insouciance » ou quand Léon Deffontaines tête de liste PCF aux européennes dit sur un plateau TV : « j’ai 27 ans et je le dis : je ne veux pas aller au front », ces personnes font dans l’émotionnel et vous mentent, le problème étant que derrière ces propos se cache un véritable agenda politique. En effet, il y a plus de deux mois, a eu lieu un vote à l’Assemblée Nationale et au Sénat sur un accord de sécurité entre l’Ukraine et la France qui prévoit un soutien financier accru et un soutien dans le domaine de la sécurité. Quels sont les trois seuls partis qui n’ont pas voté l’accord ?:

  • Le RN qui s’est abstenu 
  • Le PCF et LFI qui ont voté contre

La complaisance du RN envers Vladimir Poutine ne faisait plus de doute depuis que celui-ci a choisi de se financer auprès de banques Russes, mais il est bon de se rendre compte d’une seule chose : l’extrême gauche a un positionnement encore plus Poutiniste  qu’un parti ancien créancier de banques Russes ! Nous voyons aussi encore une fois, que l’extrême droite et gauche ne sont que les deux faces d’une même pièce !

Leurs arguments sont d’autant plus édifiants : le RN dit qu’il ne veut pas que l’Ukraine rentre dans l’UE ou l’OTAN, et ce serait la raison pour laquelle ils auraient choisi l’abstention. Le seul hic, c’est qu’il n’a y jamais eu de disposition dans cet accord prévoyant l’entrée de l’Ukraine dans l’UE ou l’OTAN mais seulement de soutenir l’adhésion de l’Ukraine à ces organisations, mais il est évident que cela ne se fera pas pendant le conflit mais après, puisque un pays en guerre ne peut rentrer dans l’UE ou l’OTAN.

Du côté de l’extrême gauche, on dit vouloir « la paix ». Derrière cet enjolivement se cache aussi une ambition cachée :  finalement accepter la paix mais aux conditions de Poutine, donc lui donner le Donbass et même plus si affinité. Le risque, nous le connaissons, c’est des « Sudètes bis », céder le Donbass pour que demain ou après-demain Poutine recommence une guerre pour réclamer d’autres territoires, et demain, la Moldavie, puis les pays baltes, etc… De plus, un tel renoncement, puisque c’est bien de cela dont il s’agit, c’est la crédibilité de l’UE et de l’OTAN qui est détruite, la Russie devient persuadée, qu’elle peut continuer son expansionnisme sans inquiétude. C’est donc la raison pour laquelle l’UE doit tout faire pour faire gagner l’Ukraine, pour montrer que le droit international n’est pas une vanité et que l’UE est capable de faire front.

L’enjeu américain

Un autre enjeu se glisse face à ce conflit, c’est l’élection présidentielle américaine en Novembre 2024, qui opposera Joe Biden président sortant et Donald Trump, candidat républicain qui après avoir beaucoup critiqué l’OTAN lorsqu’il était président s’est fait remarqué en parlant du dirigeant d’un pays qu’il qualifie de « mauvais payeur » qui lui aurait demandé s’il était prêt à intervenir s’il devait être agressé : « Non, je ne vous protégerai pas. En fait, je les encouragerai à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos factures. ». Des propos inquiétants et qui nuisent profondément à la sécurité collective et qui démontrent le désastre de la politique éducative américaine  et du niveau intellectuel Etatsunien quand l’Amérique profonde se dit prête à revoter pour Trump.

Ces propos doivent néanmoins alerter l’Europe et montrent que celle-ci a fait preuve d’une naïveté inquiétante en misant exclusivement sur les Etats-Unis pour assurer sa défense. Ce qui aujourd’hui dissuade la Russie d’éventuellement attaquer la Pologne, c’est bien son appartenance à l’OTAN qui fait craindre une riposte américaine en cas d’attaque. C’est pour la même raison que la Suède et la Finlande ont rejoint l’OTAN. Si les Etats-Unis s’en retirent, c’est la porte ouverte pour Vladimir Poutine pour une invasion de la Pologne future.

Les Etats-Unis ne sortiront pas de l’OTAN

Néanmoins, tout n’est pas tout noir, bien au contraire.  La première raison, c’est que les Etats-Unis ne sortiront pas de l’OTAN, en décembre a été votée une disposition législative au Congrès, de manière transpartisane (avec des sénateurs Républicains dans le lot, le comble) qui prévoit que la sortie de l’OTAN ne pourra se faire qu’avec les 2/3 du sénat ou une loi émanant du congrès. En d’autres mots, c’est impossible, jamais un président américain n’a eu les 2/3 du Sénat dans son camp, et de plus, une immense partie du Parti Républicain sont opposés à une sortie de l’OTAN (ce qui suggère d’ailleurs une certaine schizophrénie de leur part lorsqu’ils soutiennent Donald Trump). De plus, dans ses paroles agressives, Donald Trump ciblait les mauvais payeurs, soient ceux qui ne respectent pas la règle des 2 %, une règle prévoyant que les pays de l’OTAN doivent dépenser au moins 2% de leur PIB dans la défense. Règle aujourd’hui respectée par 11 pays sur 31 membres de l’OTAN et qui le sera par 18 demain, avec en tête la Pologne qui dépense 4 % de son PIB à la défense soit, en proportion, plus que les Etats-Unis (3,5 %). Donc ça risque d’être compliqué pour Trump de refuser d’intervenir si un pays comme la Pologne venait à être attaqué. Enfin, si Donald Trump voit la défense des pays européens comme un fardeau financier, il est bon de prendre en compte le fait que la défense américaine est aujourd’hui largement financée par les pays membres de l’OTAN : l’industrie de la défense américaine fait plein de bénéfices quand l’Europe se réarme. De même, les trois quarts des bons du trésor américains sont détenus par des pays membres de l’OTAN : c’est grâce à cela, que les USA peuvent se permettre de financer une armée aussi puissante. On pourrait aussi rajouter que les élections ne sont pas encore faites.

Néanmoins, il y a une tendance globale aux Etats-Unis qui est de détourner le regard de l’Europe pour plutôt s’intéresser à l’Asie et se placer dans une perspective de rivalité face à la Chine, notamment à Taïwan. Nous pourrions dans un premier temps considérer que cela oblige l’UE à se réarmer et à penser une autonomie stratégique. De l’autre, il serait aussi bon de prendre en compte le fait que les USA auront besoin d’une alliance stratégique pour mener des conflits éventuels en Asie notamment. L’isolationnisme ne s’appliquera pas à Taïwan, en témoigne la réaction de Trump lorsqu’Emmanuel Macron a appelé à ne pas être dans le suivisme face aux Etats-Unis.

Une chose est certaine en revanche, les conséquences d’une élection éventuelle de Donald Trump à la tête des Etats-Unis  seront beaucoup plus fortes pour l’Ukraine elle-même, avec sans doute à la clef, un arrêt total des aides américaines en armement notamment. C’est donc ce retrait des américains qui est à prévoir. De même, il y a fort à parier qu’une victoire Trumpienne puisse se solder par un accord de paix à la munichoise, avec à la clef une annexion du Donbass par la Russie.

Pour autant,  les élections américaines auront un impact sur la situation Ukrainienne, il ne faut pas oublier un autre scrutin : les élections européennes, à venir au mois de Juin, qui, pourraient avoir un impact beaucoup plus direct : si des partis nationalistes venaient à s’emparer de la commission ou même à avoir une influence suffisamment importante au parlement européen : le soutien européen à l’Ukraine pourrait se ternir, et les conséquences seraient catastrophiques.

Europe de la défense : une chimère ?

Quoi qu’il advienne aux Etats-Unis, une chose est certaine : l’Europe doit se réarmer et pour l’heure, les pays européens sont victimes de leur manque de coordination.

En effet, comme l’explique l’Institut Jacques Dollars les dépenses européennes regroupées en armement, c’est 360 milliards d’euros en 2023 contre 93 pour la Russie.  Le problème, ce n’est pas l’argent, bien qu’un investissement plus conséquent sera nécessaire mais bien un manque de coordination : les armements sont trop hétéroclites, il n’y aucune coordination entre les pays européens, et c’est bien cela le problème.

Pour autant la solution ne peut pas être  une « Europe de la défense » et encore moins une communauté européenne de la défense bis. Ce serait créer un nouveau gadget, dont les processus de mise en œuvre seront longs et incertains.

Il existe déjà aujourd’hui une politique étrangère de coordination de la défense en Europe : la PSDC, la politique de sécurité et de défense commune ! Ce qu’il faut c’est plutôt développer celle-ci en mettant l’accent sur la coordination des industries d’armement plutôt que partir dans des aventures institutionnelles.

Néanmoins, penser une énième « Europe de la défense » est une chimère, l’important c’est la coordination des industries de l’armement et remiser sur la PSDC. L’OTAN est bien ressortie de ses cendres avec l’émergence de ce conflit Russo-Ukrainien, alors que cette instance était largement condamnée avant.

Pour conclure, la Troisième Guerre Mondiale est un fantasme

Pour conclure, la guerre en Ukraine dure depuis deux ans.  Le risque aujourd’hui, c’est le repli sur soi. L’extrême droite et l’extrême gauche veulent se coucher devant la Russie, avec un accord de paix qui serait favorable à la Russie et qui surtout risque de permettre à Vladimir Poutine de préparer de nouvelles annexions dans les années à venir. La solution, c’est de soutenir l’Ukraine.

Que les isolationnistes se rassurent, ils ne partiront au front avec un casque sur la tête, ni eux, ni leurs enfants d’ailleurs. Dans quelques années, la France ne parlera Russe et nous ne paierons pas en rouble ;  mais une victoire de la Russie en Ukraine et dans d’autres pays de l’Europe de l’Est provoquerait des risques de déstabilisation des pays occidentaux absolument colossale.

La Troisième Guerre Mondiale, est un fantasme, il n’y aura pas de guerre mondiale, puisque qu’il n’y a pas d’ « axe du mal » qui unirait, la Russie, la Chine et l’Iran. Ces pays ont des intérêts divergents, rien à voir avec un conflit mondial qui unirait deux blocs, l’un contre l’autre. Ce n’est pas non plus une nouvelle guerre froide. Nous vivons une période multipolaire et de restructuration de l’ordre international.

Encore une fois, la solution n’est pas de sauter sur sa chaise en vivant dans la peur permanente ni de rester passifs face à ce conflit, mais bien de penser le futur : gouverner c’est prévoir ! Penser le futur et donc la défense européenne, rejeter l’isolationnisme et bien anticiper que seule une défaite de la Russie peut préserver la sécurité européenne. Ceux qui l’oublient ou minimisent le risque d’une défait Ukrainienne feraient bien d’ouvrir un livre d’Histoire…

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