Société

Future loi sur la fin de vie : Serait-il possible d’éviter le raisonnement manichéen ?

C’est une des informations de la semaine passée, le gouvernement prépare un projet de loi relatif à la fin de vie, qui sera débattu en Septembre et qui devrait comporter la légalisation de l’aide active au mourir (source : Le Monde). Une telle loi ferait suite à plusieurs événements : la formation d’une convention citoyenne sur la fin de vie et l’avis rendu  il y a 15 jours de l’académie de la médecine s’est prononcée en faveur d’une telle mesure. Des débats houleux sont à prévoir, espérons qu’ils seront néanmoins passionnants (à l’inverse de ce qui se produit malheureusement lorsque sont évoqués des sujets sociétaux). Alors que nous parlons d’un sujet crucial qui pourrait presque être qualifié de choix de modèle de société, deux camps s’opposent, chacun dans des postures politiciennes :

  • Les associations en faveur de la réforme, se sont rassemblées pour former ce qu’elles nomment un « pacte progressiste » (comprenez que tous les opposants seraient des réactionnaires)
  • Du côté des conservateurs, les défenseurs de la réforme seraient des assassins, le tout fleuri avec une veine légèrement complotiste (Association des directeurs au service des personnes âgées:« Loi fin de vie : veut-on tuer des personnes âgées pour faire des économies ? »).

En clair, nous voyons déjà que des extrêmes se dessinent dans les deux camps et que des postures se dessinent, dans les deux camps également. Faire d’un débat bioéthique une simple opposition entre les conservateurs et les progressistes, est à mon sens choquant : nous parlons de la vie et de la mort de personnes physiques. Réduire un sujet tel que la fin de vie à un clivage droite-gauche, c’est faire fi de toute nuance qui pourrait exister pour un tel sujet. Pour comprendre ce débat sur la fin de vie, il est nécessaire de présenter ce sujet sur toutes ses dimensions et d’en déceler les enjeux pour comprendre, que ce sujet n’est pas l’opposition entre des retraités conservateurs et des jeunes épris de liberté, mais bien un débat éthique et sensible.

Les différentes pratiques en matière de fin de vie

Il est tout d’abord important de rappeler ce que nous entendons, que les politiques évoquent la fin de vie. Il s’agit concrètement, d’une aide donnée par le milieu médical visant à mettre fin aux souffrances d’un patient en fin de vie, cette aide peut prendre différentes formes

  • Ce qui est nomme l’euthanasie passive, légale en France et dans la plupart des pays Occidentaux, consistant à autoriser les personnels en charge d’un patient à arrêter de le soigner et de lui administrer des traitements
  • Le suicide assisté, ce que souhaiterait légaliser le gouvernement, qui consiste pour le personnel médical à fournir à un patient en fin de vie, les moyens pour que celui-ci, puisse mettre, lui-même, fin à ses jours.
  • L’euthanasie active (souvent appelée par les médias, simplement « euthanasie »), peu légalisée en Europe, qui consiste en le droit pour le personnel médical de donner directement la mort à une personne en fin de vie.

A ce jour, la majorité des pays européens, n’ont légalisé, ni le suicide assisté ni l’euthanasie active, en revanche, tous les pays européens légalisent l’euthanasie passive.

Parmi les pays européens toujours :

  • La Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, et l’Espagne ont légalisé l’euthanasie active et le suicide assisté
  • Le Portugal et la Suisse ont légalisé uniquement le suicide assisté

Voici une carte issue du média euractiv qui récapitule les législations actuelles en Europe:

L’état du droit actuellement en France

Jean Leonetti à l’origine de la loi de 2005 et de 2016

Le projet du gouvernement serait de légaliser le suicide assisté donc et non l’euthanasie active. Aujourd’hui, la législation sur la fin de vie est déjà assez dense, réunie au sein de la loi Leonetti, qui a légalisé l’euthanasie passive et a donc interdit certaines pratiques comme l’acharnement thérapeutique : permettant ainsi au patient de demander l’arrêt d’un traitement médical jugé trop lourd. En 2016, un autre texte a été porté, toujours par  Jean Leonetti mais aussi par Alain Claeys (La Loi Claeys-Leonetti), prévoyant notamment un droit d’accès aux soins palliatifs  pour tous ceux qui le nécessitent mais aussi l’autorisation pour un médecin d’administrer une sédation profonde et continue jusqu’au décès : endormir profondément une personne atteinte de maladie pour lui éviter des souffrances. Force est de constater aujourd’hui que ces textes ne sont pas appliqués :Selon le journal international de la médecine : 21 départements en France ne possèdent aucun service de soins palliatifs et deux tiers des malades nécessitant des soins palliatifs n’y ont pas accès. De même, toujours selon le même journal, seulement 3 % des patients en soins palliatifs ont eu recours à une sédation profonde. Ce que nous voyons c’est que le gouvernement souhaite perpétuer une bonne vieille tradition française, celle de continuer à créer de nouvelles lois, alors que les textes déjà en vigueur ne sont pas appliqués. Avant d’en venir à une nouvelle loi sur la fin de vie, peut-être faudrait-il faire en sorte, que les textes existants soient appliqués, sachant que ceux-ci sont déjà assez étendus, puisque la sédation profonde peut déjà s’apparenter à une forme d’aide active à mourir, pour autant elle n’est que peu appliquée. Ainsi, une fois ceci fait, il reviendra de se poser la question d’aller encore plus loin. Rappelons une chose : ce que réclament, patients souffrants comme les familles, ce n’est ni l’euthanasie ni le suicide assisté, mais bien le droit à mourir dans la dignité et donc, éviter les souffrances, ce que permet déjà la législation existante, encore faut-il l’appliquer.

Les problèmes éthiques de l’euthanasie et de l’aide active à mourir

L’aide active à mourir comme l’euthanasie posent de sérieuses questions éthiques.  Premièrement, autoriser le suicide assisté comme l’euthanasie, quoique ces pratiques soient différentes, serait fondamentalement rompre avec le serment d’Hippocrate : « je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». De même, permettre au personnel soignant d’avoir recours au suicide assisté, changerai totalement le sens que nous souhaitons donner à la médecine :  une science qui avait normalement pour vocation de soigner des maladies et de rétablir la santé. De même, il revient également de se demander si les soignants auront droit à une clause de conscience, si ceux-ci ne souhaitent pas avoir recours à cette pratique, si le suicide assisté devait être légalisé, nous verrons plus tard que ceci n’est pas toujours le cas en Belgique. Par ailleurs, il est intéressant de noter que différentes études (notamment réalisées par l’INSERM) font état du fait qu’environ la moitié des médecins sont favorables à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté, pour autant, il est intéressant de noter que ce chiffre est nettement inférieur chez les médecins travaillant dans les soins palliatifs.  

Les dérives de l’euthanasie

Les différents pays qui ont choisi de légaliser l’euthanasie active et/ou le suicide assisté, ont fait face à des dérives notoires.

En Belgique, tout d’abord, après avoir légalisé l’euthanasie en 2002, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de libéraliser davantage cette pratique, avec les risques que cela peut entrainer. Tout d’abord, en 2014, le gouvernement Belge a élargi le droit à l’euthanasie aux mineurs (sans aucune condition d’âge!!) à condition que ceux-ci aient une capacité de discernement et que leur mort soit proche.  Là encore,  le diable est dans les détails : premièrement, que signifie une capacité de discernement ? Peut-on réellement considérer qu’une personne mineure peut avoir une capacité de discernement lui permettant de prendre une décision aussi gravissime, ainsi, est-ce réellement le mineur qui prend sa décision ou bien des tiers qui l’influencent fortement ? De même, il est important de considérer qu’en Belgique, la dépression est considérée comme une maladie incurable. Ceci provoque ainsi le fait, régulièrement dénoncé par des médecins Belges, que des personnes peuvent avoir recours à des euthanasies dites psychologiques, lorsqu’elles sont au stade de la dépression. Une question se pose : à quel moment, pouvons-nous considérer que le suicide est quelque chose d’acceptable ? Il est intéressant de remarquer qu’en France, il existe un numéro vert, pour les personnes sur le point de suicider, avec une écoute psychologique pour justement les en dissuader, ce qui signifie que nous considérons collectivement que le suicide n’est pas une bonne option et qu’il n’est pas souhaitable. Le suicide est un échec, celui de la société à ne pas avoir su répondre aux problèmes d’une personne à un instant précis.

Ce qui est intéressant mais aussi inquiétant, c’est que cela contredit totalement ce qui a été dit au-dessus, une personne dépressive est-elle une personne faisant preuve d’un discernement total ? Bien évidemment que non.  Pour autant, cela provoque des conséquences considérables, en 2022, une jeune femme de 23 ans souffrant de dépression, a été euthanasiée. Ceci est absolument terrifiant, les services psychiatriques à cet instant, ont clairement failli à leur devoir, celui de venir en aide à cette jeune fille et ont préféré choisir la facilité. Le suicide ne serait donc plus un échec.

Aux Pays-Bas, l’euthanasie est autorisée à partir de 12 ans, il est possible d’avoir recours à cette pratique en cas de démence. Encore pire, une proposition de loi a été déposée, pour qu’une personne ayant plus de 75 ans, bien que bien portante, considérant que sa vie a été accomplie, puisse se faire euthanasier, le tout sans aucun avis médical. Heureusement, à ce jour, la proposition est restée en suspens.

De même, nous évoquions tout à l’heure, la clause de conscience pour les soignants qui ne souhaiteraient pas pratiquer le suicide assisté ou l’euthanasie. Celle-ci existe en Belgique, du moins sur le papier, puisque les établissements de soins refusant de pratiquer l’euthanasie, sont tout simplement interdits.

Ne pas confonde suicide assisté et euthanasie active

Il est néanmoins essentiel de ne pas tout confondre.  Le suicide assisté et l’euthanasie active, bien que ce soient des pratiques proches, ne sont pas égales. « L’avantage du suicide assisté » comme le rappelle le CCNE (comité consultatif national d’éthique) c’est qu’il laisse le libre-choix aux patients, d’ingérer ou non la substance qui leur permettra de se suicider. Si l’euthanasie active, est une pratique qui n’est tout simplement pas souhaitable dans notre République et à laquelle il faut s’opposer avec force. Néanmoins, le suicide assisté n’est pas à placer sur le même plan. Sa légalisation peut, éventuellement être acceptable, si celle-ci est fortement encadrée. La préconisation de l’Académie de la Médecine, me semble à ce jour la meilleure, il faut que cela soit à « titre exceptionnel » en le disant clairement : « aider à mourir le moins mal possible ».

 Concrètement, si le suicide assisté peut être acceptable, il faut que cela soit dans des conditions strictes. Tout d’abord, les cas psychologiques doivent être exclus de ce droit, en aucun cas il n’est acceptable de considérer comme souhaitable le fait d’autoriser le suicide à des personnes en situation de détresse psychologique, le suicide n’est, encore une fois, jamais une réussite dans ces cas-là. De même, il faut évidemment que cette pratique ne soit réservée uniquement aux majeurs, pouvant faire preuve de discernement et surtout, uniquement en cas de maladie incurable et de souffrances avérées et surtout, sur avis de plusieurs médecins.  Néanmoins le « titre exceptionnel » ne doit pas être oublié, il ne faut pas oublier que la légalisation de l’euthanasie en Belgique a multiplié par 10 le nombre d’euthanasies depuis 2003. Ceci laisserait entendre que l’euthanasie se normaliserait, deviendrait un soin comme un autre et surtout, que les systèmes de santé Belges choisissent de plus en plus ce qui peut être interprété comme une solution de facilité.  Si le suicide assisté n’est pas clairement encadré, il produira les mêmes dérives que l’euthanasie en Belgique : des personnes très jeunes dépressives et aux capacités de discernement plus que douteuses pourront se donner la mort, le tout grâce à une aide médicale, des personnes ayant 75 ans et ayant le sentiment d’avoir accompli leur vie pourront quand même se donner la mort avec le suicide assisté, sans aucun fondement scientifique.

Pour finir

Le parlement doit se saisir de ce texte, et l’étudier de manière sérieuse, sans les invectives auxquelles il nous a habitué depuis le début de la législature. Le gouvernement a déjà commis l’erreur d’avoir voulu soumettre ce sujet à une Convention Citoyenne. De deux choses l’une : premièrement, cela conduit à une forme de « peopolisation » d’un sujet, pourtant, crucial, complexe et extrêmement sensible, revenant à réduire ce débat à un clivage simpliste entre les progressistes et les conservateurs. De plus, des individus tirés au sort, qui ne sont pas spécialistes de ces thématiques, risquent de réagir par rapport à leurs expériences personnelles ce ne peut être en aucun cas pour parler à une échelle nationale. Les parlementaires doivent être rigoureux dans l’étude du texte et l’amender, faire en sorte que si le suicide assisté devait être légalisé, cela soit à titre exceptionnel, pour ne pas se retrouver dans une situation semblable à la Belgique. Espérons que les députés, membres de la majorité, qui se sont historiquement positionnés contre une telle mesure aient le courage de garder leurs convictions et non de les ranger au placard pour satisfaire l’exécutif (rappelons que Aurore Bergé, ancienne présidente du groupe Renaissance et actuelle ministre des solidarités et qui sera donc en partie en charge de ce dossier, s’est historiquement positionnée contre une évolution de la loi Claeys-Leonetti en employant par ailleurs les mêmes arguments que ceux cités au-dessus). Néanmoins, n’oublions pas une chose : si aujourd’hui, nous avons des malades qui meurent dans des conditions terribles, ce n’est pas le fait de la pénalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté mais bien le fait que les textes actuels, pourtant très fournis, ne sont pas appliqués. La sédation profonde en est le parfait exemple, c’est une pratique qui a le mérite d’atténuer fortement les souffrances des patients en attendant la mort, pour autant, c’est une pratique quasiment inemployée mais prévue par la loi. Enfin, il est essentiel de prendre en compte le fait que des études, notamment réalisées par la Libre Belgique, avaient conclu qu’une amélioration des soins palliatifs entre 2001 et 2005 aux Pays-Bas avait permis de réduire le nombre d’euthanasies. Montrant que l’euthanasie n’est pas une fatalité ni l’accroissement du nombre de personnes recourant à cela et surtout que la solution peut se trouver là. Notons que le gouvernement choisit l’inflation législative et donc le risque de donner le sentiment d’action à l’opinion publique sans que cela ne se traduise réellement sur le terrain.  

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