Société

Loi asile et immigration :  et maintenant ?

Cela semble être le sujet qui s’est imposé sur la table depuis maintenant plusieurs mois, qui devrait probablement animer les repas de familles pendant les fêtes : l’immigration ! Depuis 1 an, un projet de loi relatif à l’immigration et au droit d’asile est en cours de discussion, annoncé par le gouvernement, il est passé par le sénat, avant d’avoir été rejeté récemment à l’Assemblée Nationale, par une motion de rejet (pour la première fois depuis la création de cette procédure).  Après quelques jours de longues négociations entre LR et la majorité en commission mixte parlementaire, un compromis a été trouvé.  Le Rassemblement National a notamment annoncé qu’il voterait pour, ce qui fait assez peu de doute quant aux chances d’adoption de ce texte. Néanmoins, un tel accord a été fortement contesté par la gauche et l’extrême gauche mais l’aile gauche de la majorité.

  • Olivier Faure :« Macron main dans la main avec Le Pen pour renoncer aux valeurs républicaines qui ont fondé notre pays depuis la Révolution française. Macron devait être un barrage il est celui qui met en œuvre le programme de l’extrême-droite sur l’immigration. » 
  • Mélenchon : « Le monde voit naître une France défigurée par les plus humiliantes discriminations contre l’immigré : celles des besoins essentiels d’un être humain : vivre en famille, se loger, se soigner, étudier en France. Le nouveau macronisme a pris le train piloté par la droite extrême. Honte à celui qui s’est fait élire pour y faire barrage. »

Pour ne citer qu’eux. En revanche, cet accord a aussi été critiqué par Eric Zemmour :

« On aimerait comprendre en quoi une loi qui ne changera presque rien est considérée par le RN et par LR comme une écrasante victoire. »

L’immigration, c’est un peu le sujet dont tout le parle, mais dont très peu ont réellement les compétences et connaissances nécessaires pour en parler, et c’est aussi le sujet qui donne le plus souvent lieu à des débats peu constructifs où seules les positions les plus polarisées sont représentées. Dans un premier temps, nous allons étudier en quelques mots, ce que nous entendons par « immigration », tant le sujet est vaste, au niveau des législations nationales puis nous allons étudier la loi et enfin voir ce qui va dans le bon sens, mauvais sens ou devrait être amélioré. L’objectif surtout, vous l’aurez compris, c’est d’éviter le débat de comptoir.

L’asile en France

En France, nous comptons deux formes d’entrée sur le sol : l’asile et l’immigration.

Le droit d’asile regroupe trois statuts différents : les réfugiés, la protection subsidiaire et la protection temporaire.

Le statut de réfugié :  protection internationale reconnue par la Convention de Genève, cela donne lieu à un titre de séjour d’une durée de 10 ans.

  • Etranger victime de persécution selon sa race, sa nationalité ou sa religion dans son pays
  • Etranger persécuté en raison de son action pour la liberté
  • Etranger qui a obtenu la protection du Haut-Commissariat aux réfugiés dans un pays mais qui ne peut y rester

Le statut de protection subsidiaire :  qui donne lieu à une carte de séjour de 4 ans :

  • Personne condamnée à mort dans son pays
  • Personne victime de torture, de traitements inhumains ou dégradants
  • Menace contre la vie de sa personne, sans considération personnelle en raison d’un conflit armé

La protection temporaire : pour les personnes fuyant un conflit armé, ne peut être déclenchée qu’au niveau européen, cela concerne uniquement les Ukrainiens à l’heure qu’il est.

Seuls ces motifs rentrent dans le droit d’asile.  De plus, la comparaison entre les « réfugiés » (vous l’aurez compris, ce ne sont pas réfugiés légalement) Ukrainiens et les autres migrants venant d’Afrique, émise par la gauche souvent pour critiquer une politique migratoire « à deux vitesses », est ainsi infondée, puisque cela ne correspond pas du tout au même statut.  De même, quand certains parlent d’un « droit d’asile dévoyé » cela est à prendre des pincettes, puisque les critères sont assez précis et relativement restreints.

En 2022, 56 000 demandeurs d’asile ont obtenu le statut de protection subsidiaire ou de réfugiés.

Avec cela, vient l’immigration, qui concerne en réalité quatre motifs surtout :

  • Le motif étudiant
  • Le motif familial : le regroupement familial en partie mais aussi la venue de conjoints étrangers pour des français
  • Le motif économique
  • Le motif humanitaire

Voici les chiffres de primo-délivrance de titres de séjour en 2022

  • Le motif étudiant :  101 250
  • Le motif familial :  95 507
  • Le motif économique : 51 673
  • Le motif humanitaire : 40 549

Au total, si ajoute à cela les titres divers, cela représente 316 174 en titres de séjours primo-délivrés en 2022.

Avec cela la France a distribué 1,7 million de visas, dont une grande partie de visas de courts séjours.

Enfin, en 2022, on comptait en France, 7 millions d’immigrés, ce qui représente un peu plus de 10 % de la population française et 35 % d’entre-eux ont obtenu la nationalité française au cours de cette année.

Tous les chiffres sont issus du site vie-publique.fr

Un autre chiffre très controversé, celui de l’immigration clandestine :  entre 350 000 et 400 000 sur le territoire selon José Balarello ; 900 000 selon Patrick Stefanini.

Que contient ce texte ?

Ce projet de loi sur l’immigration a été remanié de multiples fois, d’abord proposé par le gouvernement, ce texte a été modifié par le sénat, puis le gouvernement est revenu sur sa copie d’origine, le texte a été adopté en commission des lois puis une motion de rejet a été adoptée pour laquelle les voix des LR, du RN et de la NUPES se sont alliées (pour des raisons totalement opposées). Finalement, ce texte a été discuté en CMP et un compromis a été trouvé.

Ce texte a été surtout remanié en raison d’un article qui a provoqué beaucoup de remous : celui qui prévoyait de régulariser les travailleurs sans papiers exerçant dans les métiers en tension. Cet article était considéré comme une ligne rouge par la droite.

Le texte prévoyait aussi un ensemble de mesures pour lutter contre l’immigration clandestine. Le sénat a durci le texte sur plusieurs points : durcissement du regroupement familial, fin de l’aide médicale d’Etat, durcissement du droit du sol, quotas de migrants…

Le texte sorti de la CMP est durci par rapport au texte gouvernemental mais il retire certaines mesures sorties du sénat. Voyons ce que comporte le projet de loi final qui sera soumis au parlement :

  • Pour les métiers en tension : le préfet aura toute latitude d’accorder ou non le titre de séjour à des sans papiers exerçant dans des secteurs en tension. Par ailleurs, une régularisation sera impossible pour une personne ayant une condamnation inscrite au casier judiciaire
  • Le sujet le plus brûlant, les prestations sociales : il faudra 30 mois d’exercice professionnel ou cinq ans de résidence en France (régulière) pour un étranger pour toucher des prestations familiales ou sociales et avoir un visa étudiant ou 3 mois d’activité pour bénéficier des APL
  • Plus de quotas de migrants, mais une obligation de débattre au parlement d’objectifs chiffrés en matière de titres de séjours
  • Obligation de déposer une caution et de justifier d’un caractère sérieux des études pour obtenir un visa étudiant
  • La fin de l’automaticité du droit du sol avec l’obligation de faire une démarche volontaire entre 16 et 18 ans (retour à la loi Pasqua) avec impossibilité de bénéficier du droit du sol si condamnation à une peine d’au moins 6 mois
  • Possibilité de déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs de crimes
  • Interdiction de l’internement des mineurs en centre de rétention administrative
  • Des mesures facilitant les expulsions : possibilité d’expulser les personnes arrivées sur le territoire avant l’âge de 13 ans en cas de délit (ce qui n’était pas le cas avant)
  • Le rétablissement du délit de séjour illégal
  • Le durcissement du regroupement familial, de 18 à 24 mois

Les mesures sur l’AME (aide médicale d’Etat) sont reportées à débat ultérieur en Janvier.

Une question à la gauche : qu’il-y-a-t-il de xénophobe dans ce texte ?

Sur le droit du sol par exemple,  en quoi est-ce anormal que le fait de demander la nationalité française soit conditionné à une démarche volontaire et au fait de ne pas avoir été condamné à un délit de six mois ? En soit, ce n’est absolument pas la remise en cause du droit du sol, au contraire ! Chaque personne née sur le territoire pourra demander la nationalité française, il faudra juste ne pas être un habitué  des tribunaux et faire une démarche volontaire.

Le fait qu’il faille une durée minimale de résidence sur le territoire pour bénéficier d’aides sociales est juste normal, par ailleurs, le texte prévoit que les APL pourront être obtenues plus facilement pour les étrangers qui travaillent. Il faut s’avoir qu’en Espagne, par exemple, cette mesure est déjà appliquée.

Sur le regroupement familial,  il faut savoir que dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne, il est déjà requis d’avoir une situation stable, soit d’avoir un emploi, pour bénéficier du regroupement familial.

Ce texte est équilibré, les mesures sur les aides sociales en sont le meilleur exemple. Les LR voulaient exiger une durée minimale de cinq ans de résidence pour bénéficier d’aides sociales, une mesure un peu trop dure dans certains cas. Le fait qu’il y ait eu des compromis avec la possibilité de bénéficier au bout de 30 mois d’aides sociales pour ceux qui travaillent et un accord a même été trouvé pour que les étrangers qui travaillent puissent bénéficier d’APL au bout de 3 mois. C’est un véritable texte équilibré. Il est aussi bon de rappeler que cela concerne les aides non contributives, et donc contrairement à ce qui a été parfois affirmé : non, les étrangers ne vont pas cotiser sans avoir le droit à aucune aide sociale, puisque ceux qui cotisent auront le droit aux prestations contributives (assurance chômage, assurance maladie, etc…).

Nous pourrions même regretter que sur certains points le gouvernement n’aille pas plus loin. Par exemple, sur le droit du sol et le regroupement familial, il serait nécessaire que cela soit conditionné à des perspectives d’intégration plus importantes dont une maitrise du français (exigée déjà pour les  naturalisations et les cartes de résident) et des valeurs républicaines.

Sur l’aide médicale d’Etat, il est bon d’avoir écarté ces mesures et d’analyser de cette mesure dans le cadre d’un débat plus général sur la manière avec laquelle on prend en charge les soins en France et sur l’organisation de la sécurité sociale.

La politique d’immigration qu’il nous faut

D’une manière générale, ce qui est regrettable pour ce texte mais ce qui était prévisible, c’est que nous avons vu davantage de postures que de véritables projets. Les réactions le montrent : la gauche dans son ensemble, pointe un texte jugé « xénophobe » et contraire aux valeurs républicaines sans vraiment savoir pourquoi. De même, avoir voté une motion de rejet commune allant de la NUPES au RN en passant par LR n’était pas signe de sérieux, il aurait mieux fallu débattre de ce texte et l’amender en proposant des mesures clefs sur le regroupement familial, le droit du sol,  etc…  La réalité, c’est qu’il y a d’une part, le Rassemblement National qui a joué un jeu trouble pendant plusieurs mois et finalement annoncé voter pour le texte, sans jamais n’avoir réussi à formuler de propositions concrètes et de l’autre côté, toute une gauche qui fait des bonds de 15 mètres dès que naît un débat sur l’immigration. Prétendre que ce texte est en conformité avec la pensée du RN ou de reconquête est tout simplement faux,  et affirmer une telle chose est particulièrement grave puisqu’elle revient à faire des amalgames dangereux pour la démocratie. Petit comparatif :

  • Le RN propose de supprimer le droit du sol, le texte le conditionne à une démarche volontaire
  • Le RN propose de supprimer les aides sociales non contributives pour les étrangers, le texte les conditionne à une durée de résidence ou d’exercice
  • Le RN veut supprimer le regroupement familial, le texte le durcit en allongeant la durée de résidence nécessaire

Ce ne sont que quelques exemples. Ce qui est certain, c’est que la politique de l’autruche ne peut plus être acceptée. Selon l’IFOP,  65 % des français considèrent qu’il y a trop d’étrangers, 61 % considèrent que la France ne peut pas accueillir de migrants car les valeurs respectives sont trop différentes.  Que nous le voulions ou non, nous avons une opinion publique hostile à l’immigration. Est-ce qu’elle a tord ou raison n’est pas la question, le fait est que le RN est déjà donné à 30 % des intentions de vote pour les prochaines élections européennes et Marine Le Pen est donnée potentielle gagnante en 2027. En refusant de débattre d’immigration sereinement, nous augmentons ces chances de victoire Cela n’est pas un appel à reprendre ses propositions, d’ailleurs le texte débattu n’en n’a pas l’objectif, mais bien de débattre sereinement, programme contre programme, de cette thématique et de manière sérieuse, cela n’a pas été le cas depuis le début d’examen de ce texte, d’ailleurs il n’y a même pas eu de débat faute de motion de rejet.  

La vraie bonne politique migratoire, c’est le retour à une immigration choisie, et il est dommage que des mesures venant des Pays-Bas et qui avaient un moment été discutées n’aient pas été reprises, comme l’instauration d’un système à points pour l’immigration économique, visant à attirer des travailleurs étrangers qualifiés, l’Allemagne vient de mettre en place un tel système.

La vraie politique migratoire, c’est aussi celle qui lutte contre l’immigration clandestine, car il ne peut pas être acceptable que 350 000 personnes au moins sous OQTF soient présentes sur le territoire. Il faut dépasser ce texte et mettre en place des pressions économiques notamment à l’encontre des pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants.

La vraie politique c’est celle qui n’oppose pas intégration et assimilation, mais, au contraire, les faits travailler conjointement, en mettant en place une batterie de mesures visant à instaurer une assimilation républicaine: contrôle systématique de l’adhésion aux valeurs républicaines pour l’obtention de titres de séjours ou encore renforcement des expulsions pour les étrangers délinquants. Que nous le voulions ou non, cet été a été marqué par des émeutes urbaines qui ont clairement montré que la politique d’assimilation était en panne, cela montre qu’il faut être beaucoup plus strict sur ce point et éviter ainsi de voir naître dans nos banlieues, une haine de la France.

Il faut donc, d’une part, que les parlementaires votent ce texte,  car cela fait 1 an qu’il erre entre les navettes parlementaires, il serait donc temps d’en finir une bonne fois pour toute et surtout, ne pas abandonner la thématique de l’immigration au RN, en maintenant l’esprit qui est celui de ce texte : fermeté sur l’immigration clandestine, humanité pour ceux qui sont dans le besoin, et une immigration choisie et sélective dans les domaines économiques et familiaux.

Combattre la xénophobie, ce n’est pas fermer les yeux sur une thématique aussi cruciale, mais bien accepter de débattre, sereinement, et de faire preuve de pragmatisme et de fermeté dans la gestion d’un phénomène dont nous ne sommes qu’au début.

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