Réactions à la condamnation de Marine Le Pen : la trumpisation de la France en marche
Une crise en chasse une autre. Lundi 31 Mars, est tombé le résultat du procès de Marine Le Pen pour l’affaire communément appelée « des assistants parlementaires au parlement européen » et donc le détournement de fonds du parlement européen. La condamnation est allée dans le sens des réquisitions du procureur en novembre. Condamnation à 4 ans de prison dont deux ferme, inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire. C’est particulièrement le dernier point qui a retenu l’attention, l’inéligibilité avec exécution provisoire, ce qui signifie que l’appel n’est pas suspensif et donc que l’inéligibilité s’applique immédiatement. Pour autant, une nouvelle est tombée hier : le RN a fait appel et une décision sera rendue dans l’été 2026 donc normalement, avant la prochaine échéance présidentielle. Pour autant, si Marine Le Pen reste députée, en cas de dissolution, elle ne pourrait pas être de nouveau candidate. Cette décision a provoqué un choc assez prévisible dans la société politique : Marine Le Pen – et ça n’est pas un argument juridique pour autant- était souvent perçue comme la très probable future présidente française. Encore une fois, le fait que des sondages lui aient donné 37 % ou même plus, n’en fait pas un argument juridique, car personne n’est au-dessus des lois et qu’un sondage reste un sondage, et personne ne peut affirmer avec certitude que Le Pen sera élue en 2027. Enfin, si nous prenons l’argument à la lettre, ce n’est pas le RN qui est empêché de se présenter mais Marine Le Pen et selon les derniers sondages, Jordan Bardella qui n’est pas condamné, est donné à un score similaire au premier tour selon les derniers sondages. Ce qui est inquiétant et ce qui sera surtout développé dans cet article : ce sont les multiples dérives auxquelles on assiste depuis seulement ce lundi. Le virage clairement complotiste du RN, une partie de LR et LFI complaisants, appels à la mobilisation, juges menacés… Chaque jour la France ressemble de plus en plus aux Etats-Unis, mais depuis ce lundi, cette tendance s’est accélérée de manière assez radicale et un cap a été franchi.
Retour sur la condamnation
Déjà, revenons sur la condamnation de Le Pen. Comme dit précédemment, c’était pour une affaire de détournement de fonds européens : elle a, selon de nombreuses preuves, embauché des assistants parlementaires au parlement européen, mais qui, en réalité, ont davantage travaillé pour le parti. Comme s’amusent à le répéter les cadres du RN, effectivement, il n’y a pas d’enrichissement personnel : a priori cet argent n’a pas servi à des dépenses purement personnelles. Pour autant, ça reste un emploi fictif aux yeux du droit européen, car, un collaborateur parlementaire doit travailler au parlement européen et vivre à côté du parlemet européen. C’est du détournement de fonds pour le parti et c’est un délit, surtout que nous parlons de sommes plus que conséquentes : le préjudice sur 12 ans est de 4,1 millions. Contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen, il y a des preuves. Un mail du trésorier du FN à l’époque, datant de 2014 : « Dans les années à venir et dans tous les cas de figure, nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires». Julien Odoul qui a écrit un SMS où, bien qu’officiellement collaborateur parlementaire, il déclare ne pas connaître personnellement le député européen qui est son employeur. Catherine Griset, la directrice de cabinet de Marine Le Pen, a acheté un logement à Bruxelles, ce qui est obligatoire pour être collaborateur au parlement européen, pourtant, les témoignages affirment que celle-ci n’a jamais été vue dans ce logement et qu’elle travaillait en réalité depuis Montretout, résidence des Le Pen.
En clair, un système a été mis en place, d’utilisation de fonds européens pour servir au parti. C’est bien l’ampleur et ce caractère systémique, mis en place à partir de 2014 qui justifie des condamnations si sévères.
La question de l’exécution provisoire

L’exécution provisoire, c’est le point qui fait débat, donc comme dit précédemment, le fait que l’appel ne soit pas suspensif. Depuis la loi Sapin 2, de 2016, tout cas de corruption en politique est assorti obligatoirement d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Cette loi ne peut pas s’appliquer au procès ici en question, puisque, la période date en grande majorité d’avant l’adoption de la loi. Le RN affirme pourtant que la juge a appliqué cette loi, ce qui est faux aussi. Ce qui a fondé cette exécution provisoire, c’est le risque de récidive. Et ici, il y a un risque : Marine Le Pen et les autres prévenus n’ont jamais fait de mea culpa, et cette affaire de détournement de fonds ne s’est interrompue que parce-que le parlement européen a porté plainte (sinon, il est très probable que ce système soit encore en place à l’heure actuelle).
L’exécution provisoire, fait controverse, certains à l’instar de françois bayrou prétendent s’interroger sur cela. Il faut savoir que c’est un dispositif qui existe depuis longtemps (bien que nettement plus récent en matière civile). Par exemple, l’exécution provisoire est déjà automatique dans le cas de professeurs coupables d’agressions sexuelles, pour des raisons que tout le monde peut comprendre. Ce n’est pas une atteinte à la présomption d’innocence, ni une atteinte au droit au recours qui reste pleinement garanti. Ici, nous parlons de cas extrêmes et il faut absolument garder le concept d’exécution provisoire automatique dans certains cas en pénal (et en civil également mais c’est un autre débat). Pour autant, le débat doit légitimement être posé pour le cas de détournements d’argent public, mais il est aussi essentiel de prendre en compte que Marine Le Pen a utilisé les lenteurs de la justice pour faire durer le procès pendant presque 10 ans et qu’elle misait sans doute sur les lenteurs de la justice en faisant appel et espérant ainsi pouvoir repousser une éventuelle condamnation à après 2027, s’il n’y avait pas eu d’exécution provisoire. Peut-être que le vrai débat serait finalement la lenteur de la justice, qui, aujourd’hui de fait, bénéficie aux coupables. Cependant, le vrai débat n’est pas là, sinon la culpabilité de Marine Le Pen, et au regard des preuves accablantes, elle fait assez peu de doutes.
Dans tous les cas, qu’un premier ministre, dans une telle tempête médiatique et politique que nous connaissons depuis 2 jours en vienne à suggérer cette idée me paraît très dérangeant, puisque cela signfierait que l’agenda législatif est calqué sur l’agenda électoral et quelque part sur les sondages, et cela me paraît surtout contraire à l’esprit de la séparation des pouvoirs.
Chassez le naturel il revient au galop
Ceci me permet de faire une magnifique transition. Nous avons entendu, François Bayrou dire qu’il fallait une réflexion sur l’exécution provisoire, Gérald Darmanin qui a clairement dit vouloir un procès en appel rapide pour Marine Le Pen. Ce sont des interférences entre l’exécutif et le judiciaire. Idem, quand des députés RN et certains LR et LFI critiquent la justice, de manière parfois très virulente, au sein de l’Assemblée Nationale, c’est une entrave à ce principe. Cela pose réellement problème dans le pays qui a donné naissance à Montesquieu.
Plus inquiétantes encore, les réactions du rassemblement national. Chassez le naturel, il revient au galop : le parti qui prétendait s’être dédiabolisé, a viré depuis trois jours dans un trumpisme assez radical. Marine Le Pen dit que le système a utilisé la bombe nucléaire, Jordan Bardella parle d’une « tyrannie des juges » ; le référent départemental RN dans l’Aveyron a même parlé de « solution finale » contre Marine Le Pen. Des termes comme « coup d’Etat » ont aussi été entendus, et difficile de faire une liste exhaustive. La justice est prise pour cible, et aussi la juge spécifiquement, qui est en réalité dans le viseur de menaces depuis janvier, mais celles-ci se sont accentuées à un point jamais vu, depuis lundi, au point qu’elle soit placée sous protection. La France se rapproche doucement et dangereusement des Etats-Unis, où rappelons-le, les juges fédéraux sont menacés ouvertement par l’administration en place. Ici, le RN n’est pas (encore ?) au pouvoir. Il est amusant que Jordan Bardella condamne les menaces, quand par leurs propos calomnieux, les élus RN ont participé à attiser la haine.
Une manifestation qui devrait interroger tous ceux qui tiennent à l’Etat de droit
Dimanche, aura lieu, un rassemblement pour « soutenir Marine Le Pen ». Ce n’est pas un meeting, car ce n’est pas dans une salle avec une scène, ce n’est pas une manifestation. C’est un rassemblement en extérieur. Ce rassemblement devrait choquer tous ceux qui sont attachés à l’Etat de droit. Premièrement, quel est l’objectif de ce rassemblement sinon de contester une décision de justice et de faire pression sur la justice ? C’est une dérive populiste sévère, des députés, vont se réunir pour contester une décision de justice et faire pression sur un des trois pouvoirs, avec des citoyens. Ce n’est pas du tout anodin, c’est une dérive dangereuse. De plus, le lieu choisi est encore plus dérageant : les invalides. J’ai pu vérifier sur google maps, c’est à moins de 20 minutes à pied de l’Assemblée Nationale. Enfin il y a fort à parier que les militants dans la rue, ce jour-là soient les plus radicaux (car cela implique de prendre un car tôt le matin et d’enchainer sur une manifestation ce qui concerne en général les militants les plus férus). Certains comme Prisca Thévenot ou Xavier Bertrand, alertent sur le risque d’un « capitole à la française » je ne pense pas personnellement qu’on en arrivera jusque-là à ce stade, mais il y a un risque que cela arrive un jour et la tenue d’une telle manifestation devrait déjà tous nous interroger car les parallèles sont assez choquants.
Un gouvernement des juges ?

Concernant l’expression « dictature des juges ». Oui, je pense qu’il y a un entre-soi idéologique au sein de la magistrature, ce qui ne veut pas dire que tous les magistrats sont d’extrême gauche. Oui, je pense qu’il aurait fallu il y a longtemps dissoudre le syndicat de la magistrature pour l’affaire du « Mur des Cons » voire interdire la syndicalisation dans la magistrature. Mais soyons clairs : ici, nous parlons d’une affaire qui a été jugée en collégialité, et avec tous les renvois, de nombreux juges dans le passé ont eu l’affaire entre les mains et ont tous eu les mêmes conclusions. Et surtout, comme dit auparavant, les preuves sont littéralement accablantes. Je suis toujours très attaché au fait que l’introduction du judiciaire dans la politique ne se transforme pas en « gouvernement des juges ». S’il y a des dérives, il faut les dénoncer, mais en aucun cas la démocratie n’est de considérer qu’il faille dynamiter l’Etat de droit pour satisfaire une « volonté populaire » pas si établie que cela. Sinon, nous en arrivons au modèle Hongrois et peut-être demain Américain. L’argumentaire selon lequel ce qu’il se passe serait antidémocratique, repose sur rien, si ce n’est les sondages. Cela signifie, qu’un juge, devrait tenir compte des sondages pour prendre sa décision. Là, ce serait la fin de la séparation des pouvoirs. Quand les cadres du RN s’expriment sur les plateaux TV, il n’y a pas d’argumentaire sur le fond d l’affaire, sinon du complotisme et surtout une défense qui repose sur le fait que Marine Le Pen soit en tête dans les sondages. Si Marine Le Pen n’avait pas été condamnée, pour des raisons politiques, alors cela aurait alimenté le populisme et le discours du « tous pourris ». Personne n’est au-dessus des lois, peu importe les sondages. La peine d’inéligibilité existe depuis longtemps, chaque année des politiciens sont condamnés à l’inéligibilité à vie et cela n’a jamais choqué personne – et encore moins Marine Le Pe qui réclamait l’inéligibilité à vie pour détournement de fonds- pourquoi serait-ce différent aujourd’hui ?
Pour conclure, le début d’années sombres
Soyons clairs, Marine Le Pen pourra faire appel, donc ce n’est pas une entrave au droit au recours, d’autant plus que ce sera avant 2027. Ce qui est important de rappeler c’est que nous parlons d’un détournement considérable de fonds européens, oui la peine est sévère mais c’est mérité au regard de la gravité des faits. Je suis attaché à la sévérité de la justice, comme le RN semblait-il d’ailleurs. Ce qui est inquiétant, c’est le climat de défiance extrême qui s’installe et qui même, si a priori ne séduit pas toute la majorité de la population encore, monte dans l’opinion. La menace contre des juges, est sans doute le pire de ce qui peut arriver en démocratie, les premiers responsables sont les coupables des menaces mais aussi ceux qui s’amusent depuis trois jours à attiser la haine en s’en prenant frontalement à une institution. Les temps sont sombres, les passions se déchainent, et petit à petit les sociétés européennes et particulièrement la société française rassemblement à la société américaine : polarisée et qui se laisse aller à la défiance généralisée, ce qui augure des temps difficiles. Ce que nous voyons aussi et il est essentiel de le rappeler, c’est une interférence de forces politiques populistes dans le débat politique français depuis cette condamnation: le Kremlin, Donald Trump en personne, Viktor Orban, Bolsonaro, Salvini (bref tous les grands démocrates de ce monde). Cela montre qu’il y a un danger imminent dont il faut avoir conscience.