Société

La Fièvre : une série prémonitoire ?

Dans cet article, quelque chose d’un peu différent de d’habitude, mais non sans lien avec les actualités, bien au contraire, nous allons nous pencher sur la série télévisée, dont la diffusion a quasiment 1 an jour pour jour: Avril 2024. Cette série se nomme : La Fièvre.  Une mini-série française,  de six épisodes, qui évoque des thématiques qui sont inhérentes à la société politique actuelle : les tensions identitaires, les phénomènes de saturations médiatiques, l’impact des réseau sociaux sur l’opinion.  Une série inquiétante et qui invite à réfléchir sur la société contemporaine. L’idée, ici ce n’est pas de donner mon avis sur la série- libre à chacun de faire le sien- mais plutôt de se demander si le portrait quasi apocalyptique, à minima profondément dystopique, qui est fait de la société française est réaliste et a un risque potentiel de ressembler à notre futur.  En clair, donc savoir si ce qui est présenté dans cette série a des points communs avec l’actualité politique et donc savoir si le chaos et l’embrasement dont elle nous fait part peuvent arriver en France.  Au fond : est-ce que cette série adopte une grille de lecture pertinente pour la société française actuelle et future ?

Quelques mots sur la série

Le réalisateur de cette mini-série est Eric Benzekri, friand de politique-fiction qui avait déjà réalisé la série de 24 épisodes Baron Noir.  Autant dire que si les deux réalisations appartiennent toutes deux au champ de la politique-fiction, elles ont assez peu à voir en commun. Baron Noir, est une série – aussi intéressante- mais qui narre plus une intrigue tournant autour d’un élu avec tous les éléments qui gravitent autour du champ politique : la corruption, les luttes de pouvoir, les guerres d’influence.  C’est une série qui aborde des thématiques sociales contemporaines comme le communautarisme, la montée des populismes, l’éducation, mais le principal objectif n’est pas d’amener à réfléchir sur la société plutôt que de raconter une histoire politique. Elle reprend les codes traditionnels de la politique fiction, avec les reproches que l’on peut parfois faire à ce genre télévisé- bien qu’il ait de nombreuses qualités- celui entre autres de se borner à présenter la politique comme un simple champ de batailles, de luttes d’égos, qui ne s’accomplissent que par des dessous de table, en occultant le fond.  La Fièvre, est dans un registre vraiment différent, le politique est assez peu présent d’ailleurs dans l’intrigue et si c’est une fiction, l’ambition assumée du réalisateur était de faire passer un message, presque un avertissement.  Ce n’est pas seulement une fiction, pas seulement une vision romancée, c’est presque un documentaire.

Pour en venir à  l’intrigue, sans vouloir tout dévoiler, elle narre l’histoire d’un footballeur qui lors d’une remise de trophées, s’en prend violemment à son entraineur en le traitant de « sale toubab » (ce qui signifie « blanc » en wolof). Très rapidement, s’opère une réconciliation entre les deux, il s’avère que c’était un malentendu, mais le mal est fait, l’altercation a été filmée et sature l’espace médiatique et politique. Le joueur de football devient un objet de récupération à la fois pour les populistes de droite mais aussi les militants décoloniaux, les premiers parlant d’un « 11 septembre du football et du vivre ensemble » les seconds, profitent de la dégradation des évènements et notamment de la mise à l’écart du footballeur, pour dénoncer ce que selon eux l’affaire illustrerait : un prétendu racisme systémique.  Derrière cela, la société s’embrase, le domicile du footballeur est agressé, des expéditions punitives ont lieu et la société se tend en l’espace de quelques jours avant d’arriver à des débats véhéments comme le port d’armes. En filigrane, ce que pointe cette série serait le début d’une guerre civile.

Que penser de cette série ?

 Voilà l’intrigue dans ses grandes lignes.  Il est à noter que celle-ci a reçu des avis très divers : certains instituts, comme Destin Commun (cité dans la série) ont même produit des rapports pour se demander si cette série est pertinente pour comprendre la société actuelle et donc si nous vivons dans une société aussi polarisée que le prétend la série. Des journaux plus à gauche ont émis des avis plus critiques : le journal d’extrême gauche Regards a titré « Les fantasmes de CNEWS ont enfin leur série » ; Libération critique « l’obsession identitaire » de cette série et l’impasse qu’elle ferait sur le social et se demande si cette série sert les intérêts de Bolloré. François Bégaudeau, acteur, réputé pour son positionnement que l’on pourrait qualifier de manière euphémistique à l’extrême gauche a dit  que la série encourage le positionnement à l’extrême droite en donnant du crédit à la thèse du racisme anti blanc. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut de cette série, mais l’attaquer sur des arguments aussi fallacieux relève de la malhonnêté intellectuelle dont nous sommes depuis longtemps habitués de la part de ces personnes. Cette série ne donne pas du crédit à l’extrême droite, elle critique même l’emballement médiatique autour d’une affaire qui a servi l’extrême droite dans la série. Cette série invite seulement à réfléchir sur les polarisations identitaires dans notre société et les risques que cela entraine pouvant aller potentiellement à la guerre civile.  Si s’inquiéter des tensions identitaires et du risque de voir demain une France au bord de la guerre civile, est d’extrême droite, une immense majorité de français est alors d’extrême droite.

Premièrement, quand nous voyons la série, cela a été mon cas mais aussi de journalistes, la première affaire à laquelle nous pouvons penser, ce sont les évènements de Crépol en Novembre 2023, qui a  été l’illustration de crispations identitaires fortes dans la société et qui a conduit pendant plusieurs semaines à  une polarisation brutale de la société dont le plus flagrant a été l’irruption de mouvements d’ultra-droite. Nous pourrions citer les émeutes de 2023, révélateurs d’une France coupée en deux. Nous pourrions citer aussi les mouvements antiracistes radicaux en France de Juin 2020, où des séparatistes ont développé des thèses brutales sur la société française : privilège blanc, racisme systémique, ont appelé au déboulonnage des statues et donc à faire sécession avec le modèle républicain français.

L’une des illustrations les plus flagrantes de l’importance grandissante des thématiques identitaires dans le champ est la stratégie communautariste de LFI, qui est pasé d’un laïcisme féroce à une volonté de capter le vote communautaire dans les banlieues populaires en mettant la focale sur Gaza, en adoptant des propos antisionistes voire antisémites en refusant de reconnaître le Hamas comme mouvement terroriste ou dans un autre registre de dénoncer une prétendue islamophobie en critiquant par exemple l’interdiction de l’Abaya. Tout cela révèle de la part de LFI une volonté de gagner un nouvel électorat en attisant des passions identitaires.  L’un des reproches qui a été fait à la série, est de considérer que la France serait une poudrière à cause des questions identitaires et d’occulter finalement la division socio-économique.  La réalité, est que si les questions économiques sont prégnantes dans le débat politique actuel, elles ne sont pas celles qui polarisent le plus. Il y a eu en 2023, des débats très mouvementés et même des émeutes lors de la réforme des retraites. Et même si ces évènements disent beaucoup de la société : discrédit de la parole politique, violence du débat public, il n’y avait pas une ambition de presque faire sécession avec la France,  comme cela a été vu lors des émeutes. IL n’y avait pas de réflexes culturels ou identitaires derrière les manifestations contre la réforme des retraites, ce n’était pas une scission au sein de la même. Alors que, aujourd’hui, nous voyons, à Romans-sur-Isère, près de Crépol,  par exemple, un centre qui a voté RN, à cause des évènements,  et de l’autre les quartiers populaires qui ont voté LFI. Nous avons l’illustration de deux France qui se regardent avec méfiance, ne se parlent plus, pour des raisons identitaires avant tout.

Une modération impossible ?

La violence dans le débat public, les débats brutaux , participent à cette presque sécession au sein de la République. Mais ce qui, selon moi, a très bien saisi Benzekri est le fait que c’est la question identitaire qui peut provoquer une scission, et la violence politique et publique en découlerait.

Ce que cette série souligne et qui est aussi intéressant, c’est qu’il y a une tentative de la part de la protagoniste d’arriver à quelque chose de modéré, en lien avec le traitement médiatique de cette affaire, mais que c’est en réalité une posture très difficile à affirmer, face à deux extrêmes surpuissants. Ce fait-là a été visible lors des débats nocifs, qu’ont pu connaître les universités, mais aussi toute la population française sur le conflit Israël-Hamas.   Selon l’IFOP, 59 % estiment que la responsabilité du conflit incombe aux deux parties : Israël et Hamas, 55 % n’expriment ni antipathie, ni sympathie pour Israël, 56 % estiment que l’objectif d’éliminer le Hamas est justifié. L’opinion n’est pas polarisée sur ce sujet,  mais le fait que les militants les plus bruyants aient été les plus radicaux, donne le sentiment que la France est au bord de l’implosion, cela ajouté à une injonction à choisir son camp, comme si le fait de réclamer une libération des otages avant tout cessez-le-feu ou de dire que le Hamas est un mouvement terroriste valent un soutien inconditionnel à Netanyahu. Aucune place  n’est donnée à la nuance. La nuance est possible sur les questions économiques, à mon sens, beaucoup plus que sur les passions identitaires.

La radicalité amène la radicalité

Dans son rapport, Destin Commun apporte une nuance en soulignant à juste titre, que la société n’est pas aussi polarisée que l’on le pense. Le fait est que néanmoins, quand une frange de la population exprime des rancœurs identitaires brutales, ça ne nourrit que la radicalité en face. Prenons l’exemple des émeutes urbaines, des études ont démontré que dans chaque quartier qui connaît des émeutes urbaines, s’en est suivi une percée même temporaire du RN et du FN avant. La radicalité amène la radicalité.  Quand, comme en Juin 2020, des indigénistes attaquent le patrimoine français, dénoncent un prétendu racisme systémique ou privilège blanc, il est évident que c’est du pain béni pour des populistes qui peuvent attiser des peurs identitaires auprès d’une population qui vit ce nouvel antiracisme comme une agression. Les réactions cacophoniques du gouvernement à cette époque d’ailleurs, comme Christophe Castaner, alors ministre de l’intérieur qui soufflait le chaud et le froid ou le Président de la République qui avait tardé à réagir.

Ce que cette série démontre enfin, c’est l’importance des médias et des réseaux sociaux, aujourd’hui ils sont le terrain d’affrontements de deux extrêmes. L’expression de ceux qui voient un privilège blanc en France et de ceux qui voient un grand remplacement. Les partis politiques républicains, doivent investir ce terrain et être capable d’apporter une voix de raison entre les deux extrêmes, sinon cela donnerait l’impression que la France ce n’est que la radicalité de gauche ou de droite.

Pour conclure: Benzekri est-il un visionnaire ?

Au micro de franceinter le réalisateur de cette série a dit quelque chose de très intéressant : « il faut individuellement réagir […] savoir s’empêcher, même quand on a la haine, même quand on est victime d’injustice, être capable de garder la tête froide individuellement quand tout le monde a la fièvre ».  C’est tout à fait juste, l’identitarisme, qu’il soit de gauche ou de droite, vient de pulsions individuelles exacerbées par des politiques. Il y a une tension de plus en plus forte au sein de la société française, entre les différentes communautés, et cela s’éloigne de plus en plus de la conception interculturelle française. Des communautés qui se regroupent sous des fantasmes d’injustice systématique voire étatique. Ce que dit le réalisateur est intéressant, c’est tout à chacun de savoir se prendre en main et de réfléchir à comment s’intégrer dans cette société. L’emploi du terme « racisé » en est la meilleure démonstration. On assigne des gens à leur couleur de peau, et donc cette couleur créerait un handicap permanent donc il serait impossible de sortir. Ne serait-ce pas de l’essentialisation ? Ce qui est intéressant avec ce concept de « racisé » comme l’avait souligné Rachel Khan, c’est qu’il ne s’adresse qu’aux non-blancs : les personnes de communauté juive, les asiatiques : ne sont pas des discriminés. En ce qui concerne les personnes juives, et aujourd’hui aux yeux de l’extrême gauche antisioniste et d’une partie de l’extrême droite se sont devenus les oppresseurs et les dominants.  Les réunions en non-mixité en sont le meilleur exemple. Il y a une tendance à l’enfermement dans une identité, et finalement ne pas chercher à participer au modèle républicain français. Et si vous avez le malheur de dire que vous ne voyez pas les couleurs, vous êtes un affreux blanc cisgenre qui n’a aucune légitimité à parler. Oui, les tensions identitaires, sont une réalité dans notre pays, on n’est pas encore à la situation américaine mais si rien n’est fait individuellement et collectivement, on y sera. Il y a déjà des quartiers en France, où la police ne peut plus mettre les pieds, c’est malheureusement une réalité.

La guerre civile est pour moi, à ce stade, un fantasme, par contre des tensions violentes identitaires, on y est presque. Ça ne sera pas une guerre civile totale, mais des tensions identitaires au niveau local et à l’échelle nationale une montée de la tension verbale, malheureusement, inexorable. Finissons sur une citation de Gérard Collomb: « Il faut à nouveau assurer la sécurité dans ces quartiers mais je crois qu’il faut fondamentalement les changer, quand des quartiers se ghettoïsent, se paupérisent, il ne peut y avoir que des difficultés et donc (…) il faut une vision d’ensemble car on vit côte à côte et je le dis, moi je crains que demain, on ne vive face à face. Nous sommes en face de problèmes immenses. ».

En attendant, je recommande vivement cette série

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