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Ukraine : après la sidération, la nécessité de l’action

Il n’aura échappé à personne le choc immense qu’a connu l’Union Européenne après l’annonce de Donald Trump de vouloir négocier directement avec Vladimir Poutine, outrepassant donc les pays européens et très probablement l’Ukraine. Depuis l’annonce de la volonté de Donald Trump de trouver un « deal », les analyses vont bon train,  ou plutôt devrions-nous parler de spéculations, car, à ce stade, personne ne sait sur quoi vont aboutir ces négociations, à commencer par Donald Trump lui-même. Il suffit de voir les contradictions entre les différents membres de l’administration Américaine (par exemple, sur la place de l’Ukraine et des européens dans les négociations par exemple entre l’Envoyé Spécial Américain qui dit que les européens n’auront pas leur place aux négociations et Marco Rubio qui contredit en disant l’inverse…) (ou encore J.D Vance qui a menacé d’envoyer des troupes américaines en Ukraine après que le secrétaire américain à la défense ait dit qu’il fallait que les USA se désengagent de l’Europe la veille…°), ou encore Donald Trump qui un jour menace Vladimir Poutine de sanctions massives avant de traiter Zelensky de dictateur quelques semaines après.  Il y a une possibilité, qui à mon sens n’est pas la plus probable, qui est que ces négociations n’aboutissent à rien.  

Alors face à cela, il y a les oiseaux de mauvaise augure qui voient déjà la défaite de l’Ukraine, et qui érigent Vladimir Poutine en grand gagnant, de l’autre, il y a les adulateurs de Poutine et de Trump qui sont émerveillés sans prendre conscience du danger que représente la Russie pour la sécurité européenne.  Soyons clairs, ce qui se passe n’est pas du tout une bonne nouvelle pour l’Europe au sens large, mais aussi et nous le verrons plus tard, l’Europe s’est elle-même mise dans cette situation en s’abreuvant du mythe de l’oncle sam Sauveur mais de même, il faut savoir garder raison. L’Europe ces derniers jours a affiché une Union importante bien qu’avec des désaccords sur l’idée d’un contingent européen pour la paix, à cela, il faut ni céder au pessimisme ambiant ni faire preuve d’un optimisme surabondant :  il ne faut pas oublier que l’Europe aussi affichait un visage uni en Février 2022, pourtant, ça n’a pas toujours porté ses fruits. L’Union des pays européens va dans le bon sens mais au-delà des discours il faut des actes. Face à cela, deux questions se posent : que faire avec l’Ukraine ? Comment l’Europe peut-elle assurer sa sécurité alors que le retrait des Etats-Unis se fait sentir ?

Une question en Ukraine : que voulons-nous ?,

Une citation pour commencer : « les Ukrainiens ont à mener des discussions réalistes sur les questions territoriales » c’est une citation d’Emmanuel Macron prononcée devant les ambassadeurs de France.  Cette phrase amène  à une question fondamentale qui se pose aujourd’hui : voulons-nous d’une paix comme en 2014, qui a permis à la Russie de se refaire une santé avant de réattaquer l’Ukraine en 2022 ? C’est ce qu’il se profile  si l’Europe accepte un plan aux conditions de Vladimir Poutine. C’est donc là le rôle de l’Union Européenne, s’imposer, pour obtenir des avancées comme par exemple un contingent européen pour la paix en Ukraine une fois la paix établie.  Ce point-là est absolument central. Emmanuel Macron employait le terme « réaliste » et il faut rester sur ce mot : il faut justement être rationnel, l’Ukraine ne récupèrera pas la Crimée, en tous cas, pas tout de suite. Les territoires actuellement occupés par la Russie : Donbass, Donetsk et Lougansk, il est évidemment irréaliste de penser que l’Ukraine va les récupérer. En revanche, il est étonnant qu’un thème soit totalement absent des négociations en ce moment : la partie du territoire de l’oblast de Koursk actuellement occupée par l’Ukraine. Que prévoiront les négociations pour ce territoire ?

Actuellement, 20 % du territoire environ Ukrainien est occupé par la Russie, c’est considérable. Il paraît difficile d’imaginer l’Ukraine les récupérer dans l’immédiat. Pour autant, je ne parlerais pas d’une défaite totale, évidemment ce n’est pas une victoire, mais si l’Europe et les Etats-Unis de Biden n’avaient pas aidé l’Ukraine, aujourd’hui ce serait 100 % du territoire Ukrainien qui serait sous occupation Russe.

A présent, il faut être focalisé sur le présent, en imaginant, ce qui paraît le scénario le plus probable mais pas forcément une évidence, que Donald Trump et Vladimir Poutine se mettent d’accord sur un plan de paix très favorable à Vladimir Poutine qui cède les territoires Ukrainiens occupés à la Russie. A ce moment, l’Europe devra faire le choix de l’Histoire : accepter, et donc quelque part faire le pari du réalisme et non du droit international. Cela implique donc prier pour que Vladimir Poutine n’attaque plus l’Ukraine, ce qui me paraît très  peu probable en témoigne l’Histoire récente. Autre scénario, continuer à aider militairement et humanitairement l’Ukraine mais cela impliquerait un effort considérable, puisqu’il est évident qu’un tel scénario se fait sans l’aide américaine. Que cela implique ?

  • Selon l’Institut Kiel en cumulant les aides financières, humanitaires et militaires, les Etats-Unis ont donné un peu plus de 114 milliards d’euros
  • L’Union Européenne a donné presque 49 milliards d’euros et l’ensemble des pays européens ont donné presque 59 milliards d’euros. En additionnant l’UE + les Etats Européens ont donné 108 milliards d’euros en aide soit presque autant que les Etats-Unis
  • A cela il faut ajouter les aides du Japon (10,5 milliards) de la Norvège (3,3 milliards) et du Royaume-Uni (14,8 milliards) et du Canada (8,3 milliards). Ce que l’on comprend c’est que le montant total des aides alliés à l’Ukraine hors USA est de 145 milliards d’euros.
  • Ce qu’il faut en conclure, c’est que si nous faisons un calcul rapide, c’est que si nous considérons comme c’est le cas actuellement que l’UE prenne en charge 1/3 de l’aide à l’Ukraine qui était normalement celle des USA, ça ferait 38 milliards d’euros, un coût conséquent.  Si nous regardons les pays qui ont contribué à l’aide Ukrainienne, il resterait 76 milliards d’euros à répartir en 11 pays, cela fait moins de 7 milliards d’euros par pays en moyenne, c’est un effort conséquent mais pas insurmontable (avec des disparités évidentes en fonction des capacités budgétaires de chacun)

La moralité est que se passer des Etats-Unis est compliqué, ne peut se faire en un claquement de doigts mais est possible. Et d’ailleurs, il peut être possible de prioriser l’aide militaire dans un premier temps, et celle des Etats-Unis s’élève à 64 milliards d’euros. Si ces 64 milliards sont répartis entre les 11 pays qui restent alliés à l’Ukraine, cela fait 5,8 par Etat en moyenne, là encore, un coût conséquent mais supportable.

Céder face à l’Ukraine, nous savons ce que ça a donné en 2014 mais nous savons aussi que, céder face à des puissances ennemies a coûté à l’Europe le siècle dernier. D’ailleurs la dernière conférence de sécurité sur l’Ukraine la semaine dernière avait lieu à Munich….

Quelle sécurité européenne ?

Si Kamala Harris était présidente le résultat serait le même

En fait, ce qui est visible avec cet évènement, c’est que l’Europe a finalement été très naïve, elle a cru aveuglément que les Etats-Unis serviraient de parapluie  à l’Europe ad vitam eternam. Pourtant, cela fait longtemps que l’Europe est avertie et bien avant Donald Trump. Le premier qui a amorcé le processus de désengagement en Europe des Etats-Unis, est, malgré ses airs très sympathiques, Barack Obama ! D’ailleurs de manière paradoxale le premier président américain qui a fourni des armes militaires létales à l’Ukraine ce n’est pas Barack Obama c’est Donald Trump lors de son premier mandat.  Le désengagement Américain en Afghanistan ou en Syrie, ce n’est pas Donald Trump, c’est Barack Obama…

Soyons clairs, si Kamala Harris était aujourd’hui présidente des Etats-Unis, le ton serait plus doucereux, la manière de faire moins radicale mais le résultat à moyen terme aurait été le même : un désengagement américain en Europe et en Ukraine. Kamala Harris durant sa campagne, n’a jamais été claire sur l’Ukraine (et pas que sur ce thème d’ailleurs), elle parlait d’un soutien maintenu sans citer un seul chiffre ni des mesures concrètes.

Bâtir une industrie européenne de la défense

Cela dit, maintenant que les européens semblent avoir pris conscience de la réalité, du moins pour l’instant, semble émerger des propositions qui s’apparentent davantage à des slogans comme l’appel à constituer une « Europe de la défense ». Une question se pose alors : qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Si c’est une politique de défense commune, elle existe déjà mais elle n’est pas appliquée ça s’appelle la PSDC.  Si le projet c’est de faire une CED bis, c’est impossible et je ne pense pas que ce soit forcément souhaitable car tous les 27 pays de l’UE n’ont pas exactement les mêmes intérêts géopolitiques.

Ce qu’il faut, c’est d’abord bâtir une industrie européenne de la défense, par un protectionnisme européen dans ce secteur et arrêter de dépendre de l’industrie américaine.  Mais aussi, cordonner davantage l’industrie européenne, dans un article précédent, je citais l’institut Jacques Delors qui expliquait que l’Europe dépense 360 milliards d’euros en défense quand la Russie en dépense moins de 100, le problème c’est la coordination.

D’autres mesures devraient être envisagées, comme par exemple, sortir les dépenses de défense des critères de Maastricht.  Beaucoup parlent de la nécessité d’une économie de guerre, ça n’a aucun sens, cela signifierait une économie portée intégralement sur le militaire, ce n’est évidemment pas souhaitable. Il serait enfin imaginable une alliance militaire possible entre quelques pays européens : le triangle de Weimar, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche et même s’il est en dehors de l’UE, le Royaume-Uni.

Toutes ces solutions sont faisables et semblent beaucoup plus réalistes et efficaces qu’une armée européenne.

Une politique extérieure commune est illusoire

Concernant  la politique extérieure commune, là encore, un tel projet n’aurait pas beaucoup de sens. Nous le voyons sur certains sujets récents hors l’Ukraine : sur le Sahara Occidental, sur le conflit Israélo-Palestinien, pour ne citer qu’eux, les positions européennes sont difficilement toutes conciliables.  La position Espagnole et française n’ont absolument rien à avoir à propos du conflit israélo-palestinien. En revanche, sur certains sujets comme l’Ukraine, l’Europe doit être capable de désigner, non pas un chef de la diplomatie européenne ou d’envoyer la présidente de la commission européenne négocier directement mais plutôt un chef d’Etat influent, à ce jour, deux pays ont une voix influente d’un point de vue militaire en Europe : la voix française et la voix Polonaise, il paraîtrait qu’Emmanuel Macron ou Donald Tusk participent directement à des négociations à propos de l’Ukraine, mandatés par les autres chefs d’Etats Européens.

L’erreur, que font certains observateurs est de vouloir se bercer d’illusion avec une Europe à 27 supranationale, surpuissante. La vérité c’est que c’est impossible, parce-que, sur des sujets comme l’Ukraine nombreuses sont les voix discordantes : Hongrie, Bulgarie, Slovaquie et peut-être bientôt la Roumanie. A l’inverse, une Europe à plusieurs vitesses avec une mise en commun  sur les thèmes de la défense ou de politique extérieure avec des cercles réduits d’Etats (par exemple le Triangle de Weimar) est à mon sens beaucoup plus pertinente et a beaucoup plus de chances de peser sur la scène diplomatique. Il ne faut pas faire disparaître les Etats mais leur donner les moyens de travailler entre eux pour peser plus.

Enfin, Emmanuel Macron a émis l’idée, il y a un an d’européaniser la dissuasion nucléaire. Rappelons que si l’OTAN venait à se retirer de l’Europe, le seul pays de l’UE qui a l’arme nucléaire est la France. L’idée d’européaniser est contraire à la doctrine nucléaire et n’a pas beaucoup de sens non plus : est-ce que la souveraineté serait européenne ? Qui paierait ?

La souveraineté sur la dissuasion nucléaire doit rester pleinement française,  tout simplement parce-que les français ont payé pendant des années leur dissuasion nucléaire. En revanche, l’idée d’élargir le parapluie nucléaire à des pays européens qui seraient potentiellement visés par une attaque nucléaire peut paraître pertinente, mais pour cela, il faut que les pays européens bénéficiaires contribuent, cela paraît normal. La souveraineté doit cependant rester pleinement française en matière nucléaire.

Pour conclure, nous vivons un moment d’Histoire

Nous vivons un moment d’Histoire, mais nous en vivrons d’autres et il y a fort à parier que l’année 2025 soit très riche en rebondissements. L’Europe est à la croisée des chemins, tout peut arriver et personne ne peut prédire aujourd’hui ce qu’il va se passer dans les mois à venir, tant tout change au jour le jour.  Une question se pose : les américains vont se désengager de l’Europe, c’est quasi-certain, et vont considérer que l’Ukraine est une affaire européenne. Est-ce que le jour où la guerre éclatera à Taïwan, ce qui arrivera sans doute, est-ce que l’Europe aura le courage de dire que c’est une affaire sino-américaine et pas Européenne ? Emmanuel Macron avait déjà ouvert une porte en 2023 et évidemment qu’une invasion de Taïwan n’est pas souhaitable mais si le raisonnement est seulement par intérêt et non la défense du droit international, l’Europe devrait simplement se contenter de condamner une éventuelle et sans doute future invasion Chinoise à Taïwan, car elle n’a aucun intérêt à aller s’impliquer dans un conflit avec la Chine. Est-ce que les Etats-Unis alors, sauront accepter ce discours ? C’est sans doute le pire des raisonnements mais il est aussi bon de comprendre que la tendance diplomatique est au recentrage continental. Plus que jamais, les Etats Européens doivent prendre leur destin en main, coopérer sans s’illusionner dans des projets supranationaux irréalistes, et prendre conscience que le mythe de l’Oncle Sam est fini et pour de bon. A travers l’Ukraine se posent deux questions : l’avenir des valeurs européennes libérale set l’avenir de la sécurité du continent européen. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, au contraire, l’Europe ne peut plus être dépendante d’une puissance extérieure et prier à chaque élection américaine en espérant que le président élu ne soit pas trop isolationniste.

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