Ubérisation : La Commission Européenne cède aux sirènes syndicalistes, choisit la facilité… et refuse le progrès !
Le 9 Décembre 2021, une décision a été prise de manière plutôt arbitraire par la Commission Européenne mais qui, pour autant, est passée complètement inaperçue, alors que celle-ci va avoir des conséquences considérables sur le monde du travail. Il s’agit d’un projet de directive, présenté par la Commission Européenne qui instaure une « présomption de salariat » pour les travailleurs de plateforme. Ainsi, les travailleurs de plateformes, aujourd’hui indépendants, seraient ainsi présumés salariés, et donc requalifiés en salariés. Un choc pour les plateformes concernées (Uber, Uber Eats, Deliveroo, Bolt, Just Eat, etc…) et qui ne peut engendrer qu’une seule chose, l’effondrement de ces sociétés, qui, logiquement, refuseront de requalifier les travailleurs de plateforme en salariés, ce qui serait source de coûts salariaux colossaux. La Commission Européenne, a choisi son camp, celui d’aller à l’encontre de la transformation économique de l’emploi, à l’encontre de la transformation de notre société grâce au numérique et surtout, à l’encontre, du progrès. Tout ceci est tout de même assez risible quand Nicolas Dupont-Aignan, Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon et j’en passe, qualifient l’Europe actuelle d’ « ultralibérale ».
Pour replacer dans le contexte, qu’est-ce que le travail de plateforme ? Et plus globalement, qu’est-ce que l’ubérisation ?
L’ubérisation c’est une notion assez complexe autour de laquelle il est possible d’entendre tout, et surtout n’importe quoi. Récemment, sur télématin, Axel de Tarlé (un pseudo spécialiste en économie) a déclaré que la numérisation du service public correspond à l’ubérisation de l’économie. Ceci est bien évidemment totalement faux, ce sont deux notions très clairement différentes.
L’ubérisation de l’économie (ou du travail) est un néologisme né des suites du concept de la société « Uber » (une entreprise de taxis qui met en lien directement des chauffeurs indépendants avec les clients via une plateforme internet). L’ubérisation de l’économie est un phénomène consistant au fait de mettre en relation directement un utilisateur et un prestataire via une plateforme. L’ubérisation du travail sera le thème évoqué mais il faut savoir que l’ubérisation de l’économie c’est un phénomène qui a toujours existé : Airbnb, Leboncoin, Homexchange… C’est de l’ubérisation.

L’ubérisation du travail, c’est le fait de mettre en relation directe un prestataire indépendant et un utilisateur via une plateforme, comme le fait Uber, ou Deliveroo en mettant en relation directement un livreur et un client. Les travailleurs de plateforme sont donc des indépendants qui vendent un service sur une plateforme numérique. C’est le statut d’indépendant qui fait débat : source d’une couverture sociale minimale, le retour du paiement à la tâche… Le fait que les travailleurs de plateforme soient indépendants entrainent des désavantages par rapport aux salariés : absence de protection chômage, pas de congés payés, pas de protection accident du travail. Pour autant, depuis plusieurs années, de profondes réformes sociales ont été menées conduisant à rapprocher les indépendants des salariés : une assurance maladie qui est la même, une retraite de base qui est la même pour tous (pour autant pas de retraite complémentaire). Face à cette précarité, régulièrement dénoncée, de plus en plus de pays ont choisi de requalifier tous ces travailleurs de plateforme en salariés : en Espagne récemment depuis mars 2021, les Pays-Bas depuis Septembre 2021 et même en Californie depuis août 2020.
Ce qui est frustrant, c’est que face à un problème de société qui est réel et auquel il faut trouver une solution (car tout laisse penser que ce phénomène ne va aller qu’en s’amplifiant au fur et à mesure des années), la réponse est toujours la facilité : celle du retour au salariat. Durant la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait prononcé une phrase un peu choc : « Je ne vais pas interdire Uber et les VTC, ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains ». C’était peut-être légèrement caricatural mais pas totalement faux, si nous regardons la réalité face à face, ceux qui aujourd’hui sont livreurs sur des plateformes ou VTC, seraient au RSA si ces innovations n’existaient pas. Combattre les plateformes, c’est nuire à des entreprises mais c’est aussi et surtout créer du chômage. Ceux qui, parmi les indépendants des plateformes, manifestent pour être requalifiés et se réjouissent de la situation ne comprennent pas qu’ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assises, car, il est évident que jamais une entreprise n’acceptera de reconvertir 200 000 travailleurs de plateforme (qui est le chiffre en France) en salariés. La décision de la Commission Européenne, c’est une décision arbitraire mais c’est surtout la démonstration d’une forme de lâcheté face à un mouvement social. Il faut résoudre le problème de l’ubérisation, mais pour cela, au lieu de choisir la première porte de sortie qui se présentait, il aurait fallu réfléchir à une reconnaissance du travail indépendant au niveau européen.
« Auto-esclavage »
Il suffit de lire les revendications des associations d’auto-entrepreneurs, ils ne demandent pas à être requalifiés, ils demandent que les critères de requalification soient clairs et précis. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, il n’y a pas de critère précis de dépendance économique et la distinction avec la subordination juridique est extrêmement floue, ce qui signifie qu’une requalification se fait à l’appréciation du juge, qui en cours de prud’hommes, il ne faut pas l’oublier, est un salarié nommé par les syndicats… Si les règles du jeu sont claires, alors, il y aura moins d’abus. En France, beaucoup assimilent, le statut d’auto-entrepreneur à l’esclavage… Une imposture extrêmement simpliste digne des plus grands économistes du dimanche soir , quand nous pouvons observer qu’aujourd’hui, le statut d’auto-entrepreneur (créé par Nicolas Sarkozy) permet à aujourd’hui, plus d’1,5 million de travailleurs de s’épanouir en travaillant à leur compte. Mélenchon parlait « d’auto-esclaves » durant la campagne présidentielle de 2017, cette même campagne durant laquelle il a pourtant employé une dizaine d’auto-entrepreneurs.
Sécuriser le travail indépendant
En attendant, il serait bon de réfléchir à une réelle sécurisation et simplification du travail indépendant, car il est là le véritable problème : le manque de protection sociale, le surplus administratif, les charges trop élevées… Ce qu’il faut donc, c’est premièrement, et c’est le plus important, créer un véritable statut du travailleur indépendant, qui n’existe pas aujourd’hui en France, contrairement à de nombreux autres pays : Belgique, Allemagne ou encore en Espagne. Il pourrait très bien rassembler tous les régimes de travailleurs non-salariés actuels. Les avantages relatifs à l’auto-entreprenariat continueraient à exister pour tous jusqu’à un certain seuil. Certains avantages comme la création simplifie, la comptabilité allégée, la création facilitée, serait applicable pour tous. Il faut surtout que l’entrée et la sortie du travail indépendant soit simplifiée.

Sécuriser la requalification en mettant en place des critères précis. 1,6 millions d’individus sont des auto-entrepreneurs, mais cela pourrait être beaucoup plus si les règles pour une entreprise d’avoir recours à un prestataire étaient moins strictes : en tant qu’indépendant, avoir un seul client peut facilement entrainer une requalification en salarié, il faut de la précision. Il faut également offrir la possibilité aux indépendants de bénéficier d’une protection sociale forte. Certains politiciens disent : c’est simple, pour sécuriser le travail indépendant, il faut qu’ils cotisent tous au régime général. Un seul détail a cependant été oublié, une telle mesure, ferait quasiment doubler les cotisations des indépendants, passant de 38 % aujourd’hui à 70 %. Si certains choisissent l’auto-entreprenariat, c’est, pour prendre son indépendance justement, pour ne pas avoir à subir la pression de « l’Etat nounou ». Ce qu’il faut donc, c’est une protection à la carte, en laissant la possibilité aux salariés de choisir entre le régime TNS actuel, ce qui inclut moins de cotisations chaque mois en échange d’une protection moins forte dans les accidents du travail, le chômage ou la retraite ou alors de cotiser au régime général, moyennant des cotisations plus importantes mais des protections sociales conséquentes. Une solution encore mieux pourrait être de proposer une protection sociale à la carte, et de laisser l’indépendant cotiser là où il le souhaite et donc de bénéficier des protections qu’il souhaite. Et évidemment, il faut alléger les charges. De plus, aucun politique n’en parle, mais, il pourrait être intéressant, pour faciliter le travail indépendant, de faciliter le travail intermittent, le CDI intermittent (CD2I) permet d’alterner des périodes travaillées et non-travaillées, sauf que celui-ci n’est réservé qu’à certains secteurs (concernés par des variations d’activité), cela permettrait d’alterner des périodes salariées et non-salariées .
Pour en revenir au cas de la Commission Européenne, cette décision est une pure hérésie qui montre la technocratie européenne à son paroxysme. L’UE choisit la facilité face aux pressions des syndicats les plus à gauche, mais, peu importe ce que ceux-ci pensent, le travail indépendant continuera de s’étendre (cela dit il est cependant très utopique de parler d’une « disparition du salariat » comme certains). Il est donc urgent de clarifier le statut d’indépendant, comme cela existe dans de nombreux pays. La France a, à son habitude, un retard colossal, saura t-elle le rattraper ?