Pap Ndiaye veut renforcer la mixité sociale dans les écoles privées : vers un nouveau nivellement par le bas ?
C’est une annonce qui date du 13 avril 2023, le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, a annoncé vouloir « avancer sur le sujet de la mixité sociale dans les écoles privées ». Une annonce qui fleure bon le populisme, qui, comme par hasard, intervient après plusieurs mois marqués par des mouvements sociaux. Le ministre de l’éducation nationale semble avoir pour ambition de revenir à la bonne vieille dichotomie Mitterandienne visant à opposer les écoles publiques et privées, comme si cela était le fond du problème au sein du système éducatif. Cette annonce pose de nombreuses questions et surtout ne répond absolument pas aux problèmes structurels de l’éducation nationale à défaut d’en créer d’autres. Cette annonce, très floue et surtout imprécise comme nous allons le voir cache en réalité une idéologie mortifère qui a longtemps contribué à la dégradation de notre système éducatif : l’égalitarisme, nous allons voir pourquoi !
De quoi parle-t-on ?
Le 14 Avril 2023, Pap Ndiaye a choisi de faire cette annonce, entre deux portes en ciblant « l’enseignement catholique » pour reprendre ses mots et les « écoles privées ». Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que le ministre s’en prend aux écoles privées, en réalité cela fait depuis 1 mois qu’il ne cesse de répéter attendre un « engagement » de la part de l’enseignement privé, en disant « l’Etat finance les ¾ du budget de ces établissements. Nous attendons donc de leur part un engagement pour aller vers davantage de mixité sociale ». Premier constat, quand le ministre de l’éducation nationale parle de « vouloir plus de mixité sociale » dans les écoles privées, de quoi parle-t-on ? Lui-même ne le précise pas, puisqu’il faut savoir que l’enseignement privé regroupe deux catégories très distinctes de système éducatif :
- Les établissements privés sous contrat : les écoles qui ont signé des contrats avec l’Etat et qui, donc, bénéficient de subventions en échange. Ce contrat comporte : l’obligation d’accueillir des enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance et le respect des règles et programmes de l’éducation.
- Les établissements privés hors contrat : des écoles qui n’ont pas signé d’accord avec l’Etat et qui, donc, ne bénéficient pas de subventions.
De même quand le ministre de l’éducation nationale parle de « l’enseignement catholique » pour évoquer le système scolaire privé, c’est faire l’impasse sur le fait qu’il existe également des établissements privés juifs (300 au total dont 130 sous contrat avec l’Etat) et des établissements privés musulmans (une cinquantaine). Evidemment, cela reste marginal, mais il est préoccupant de constater que dès qu’il est évoqué la question de l’enseignement privé, le ministre cible l’enseignement catholique. Plus tard dans l’interview donnée au Figaro, nous comprenons que, finalement, Pap Ndiaye cible les écoles privées sous contrat, puisqu’il évoque les financements publics que celles-ci perçoivent, qui, effectivement, s’élèvent à environ 73 %. Cela dit, il est important de noter que les écoles privées, à l’inverse des écoles publiques, ne sont pas financées en totalité par l’Etat (exple : les bâtiments ne sont pas financés par l’Etat), ce qui laisse une capacité de financement à l’éducation nationale pouvant être réinvestie dans le secteur public. En réalité, le fait que des écoles soient privées arrange plutôt l’Etat, puisque cela lui évite d’avoir à financer la totalité du système éducatif et donc de faire des économies.
Et la mixité sociale ?
Nous l’avons compris, le nouveau grand combat de Pap Ndiaye, après la lutte contre le privilège blanc, c’est la mixité sociale ! Il est déjà étonnant de remarquer que le ministre ne se contente que de paroles vaseuses : « avancer sur le sujet de la mixité sociale dans les écoles privées », pas un chiffre ou une mesure concrète à l’appui ! Ce qui est encore plus choquant, ce sont les termes employés par le ministre de l’éducation nationale, à plusieurs reprises, il a employé un terme qui est celui de « ségrégation scolaire », 8 mars 2023 : « On assiste au développement d’une école à deux vitesses. Les établissements privés sont devenus l’un des moteurs de la ségrégation scolaire ». Une citation profondément choquante, qui renvoie à une des heures les plus sombres de l’Histoire américaine où un gouvernement choisissait délibérément de séparer blancs et afro-américains, pas étonnant, cela dit, pour celui qui considère qu’il existe un « privilège blanc » ou un « racisme systémique » en France ! Cette citation témoigne d’une vision du ministre de l’éducation nationale, assez proche du marxisme et surtout très réductrice où les écoles privées ne seraient fréquentées que par des enfants issus de familles à noms à particules qui font attention à ne boire pas de l’eau froid après un potage au risque de faire sauter l’émail de leurs dents (bravo à ceux qui ont la référence) ! Pour autant, la réalité est beaucoup plus complexe. Tout d’abord, quand le ministre dit que le taux de boursiers est « inférieur à 10 % », ce sont des chiffres erronés. En réalité, c’est plutôt 12 %, mais, il est vrai, que ce taux est largement inférieur à celui des écoles publiques qui s’élève à 25 %.
Au lieu de s’indigner, il serait plutôt bon de chercher à comprendre les raisons de cet écart.
Premièrement, il est important de comprendre une chose, c’est que l’école privée, en France, est profondément impactée par une règle édictée depuis 1992, dite la règle du « 80/20 les moyens réservés respectivement à l’école privée et publique soient organisés selon le ratio : 80 %- 20 %, ainsi la règle prévoit que soit plafonné à 20 % le budget alloué aux établissements scolaire, de même, seuls 20 % des enseignants en France peuvent exercer dans le secteur privé au maximum contre 80 %. D’abord, cette règle pose des problèmes conséquents à l’heure où les liste de demandes d’inscription à l’école privée s’allonge considérablement, sans possibilité, pour les écoles privées d’augmenter leurs financements. Ainsi, les écoles privées se retrouvent, souvent, dans l’obligation de composer avec des effectifs considérables, s’élevant parfois à plus de 30 élèves par classe. Ainsi, la France compte environ, chiffres INSEE : 137 000 enseignants dans le privé, pour près de 2 200 000 élèves selon l’annuaire de l’enseignement privé. Et 790 000 enseignants pour 10 600 000. Comparons les ratios : dans l’école privée, cela fait 1 enseignant pour 16,1 élève dans le privé contre 1 enseignant pour 13,4 élèves dans le public. Les privilégiés sont-ils vraiment ceux que les égalitaristes veulent faire croire ? D’autres raisons, plus techniques expliquent la sous-représentation des élèves boursiers dans les écoles privées sous contrat.
La règle du 80/20
Basiquement, une première raison est la non prise en charge par l’Etat de nombreux frais annexes pour l’école privée, à l’inverse de l’école publique, comme la cantine scolaire, ne sont pas du tout pris en charge par l’Etat. Ainsi, cela peut représenter des frais supplémentaires considérables que certaines familles, en général populaires, ne peuvent se payer. La pierre n’est pas à jeter à l’école privée, au contraire, il est bon de rappeler que l’Etat lui octroie des financements moins importants, et, particulièrement en ce moment, les établissements privés font face, comme tout le monde, à l’inflation, et sont donc obligées de rabattre une partie de leurs frais sur les familles. Ainsi, s’il y a peu d’élèves boursiers en écoles privées, c’est principalement parce-que les listes de demande comportent déjà peu d’élèves boursiers, à cause des raisons citées précédemment, certains lycées privés (à l’image de Stanislas à Paris) se fixent des quotas d’élèves boursiers qu’ils n’arrivent pas à remplir faute de demande. De plus, cela peut paraître légèrement cynique et cru de dire les choses de cette manière, pourtant, il s’agit d’une réalité sociologiquement prouvée, si les élèves issus de familles aisées sont surreprésentés au sein des écoles privées, c’est tout simplement à cause du fait que les parents qui font le choix d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées, sont soucieux de l’éducation de leurs enfants et les parents préoccupés par la réussite éducative sont souvent issus des… csp + ! Bien évidemment, cela n’est pas une règle générale ni un déterminisme, mais une tendance de fond observée par de nombreux sociologues : file:///C:/Users/guich/Downloads/es398-399d.pdf un exemple d’études sociologiques parmi tant d’autres. Deuxièmement, il est important de considérer le rôle mortifère que joue la règle du 80/20 sur les écoles privées, en effet, cette règle étant pensée de manière technocratique au niveau national, elle provoque un fait simple : les écoles privées se développent massivement en zones favorisées (ce n’est un scoop pour personne qu’il existe tout de même peu d’écoles privées en quartiers prioritaires de la politique de la ville), ce développement bloque la possibilité pour d’autres établissements privés d’ouvrir dans d’autres zones. Le fait est que ce qui joue le plus dans l’inscription des enfants dans une école est la proximité avec leur domicile (dans la majorité des cas), si les écoles privées sont implantées dans des lieux favorisés, cela va de soi que les élèves seront souvent issus de familles aisées. De même, il est important de noter que fixer des quotas d’élèves boursiers aux écoles privées, signifierait en fait accueillir encore plus d’élèves, chose impossible, entre autres à cause de cette règle du 80/20 et aussi parce-que vous noterez qu’il est assez difficile de pousser des murs.
Cela dit, au lieu de pointer du doigt les méchants riches de l’école privée qui en plus votent à droite, il serait bon de se poser des questions d’une volée intellectuelle légèrement supérieure. La question du fond devrait être la suivante, au fond, pourquoi, des parents soucieux de la réussite de leur progéniture, choisissent-ils l’école privée au lieu du public ? Pourquoi le nombre de demandes en écoles privées augmentent-elles considérablement ? Pap Ndiaye devrait le savoir, puisque, lui-même a scolarisé ses enfants à l’Ecole Alsacienne ! La réalité est simple, il y a un écart considérable entre les taux de réussite, taux d’emploi, entre le public et le privé. La raison de cette fuite de l’école publique n’est pas le fait de l’école privée, au contraire, celle-ci est même une bénédiction pour l’Etat puisqu’elle permet de scolariser 17 % des élèves en France à moindre coût (ne pas oublier qu’un élève scolarisé dans le privé coûte presque 30 % de moins que s’il l’était dans le public). Le problème, c’est l’école publique ! Le problème c’est le manque cruel de management au sein de l’école publique ! Le problème c’est l’absentéisme 30 % plus élevé dans le public par rapport au privé. Le problème c’est le manque d’autorité cruel dans certaines écoles ! Le tout crée un véritable fossé éducatif entre le public et le privé, en matière de qualité de l’enseignement. Finalement, ce que nous voyons avec les annonces de Pap Ndiaye, c’est la volonté de remettre en place une idéologie – que son prédécesseur avait essayé de combattre et y était en partie parvenu un temps- l’égalitarisme forcené qui pointe du doigt ceux qui réussissent, ceux qui font de la bonne gestion avec moins de moyens publics, pour éviter le débat de la réforme du secteur public. Dans une perspective plus large, c’est le retour de l’idéologie ISF, faire croire qu’en prenant à ceux qui réussissent, nous allons résoudre tous les problèmes sociaux.
Quelques pistes d’amélioration
Au lieu de pointer du doigt les écoles privées, laissons-les en paix et inspirons nous plutôt de ce qui fonctionne. Il faut un véritable management au sein de l’école publique, une autonomie renforcée du chef d’établissement, il faut une véritable application des réformes et arrêter de se coucher devant des syndicats idéologisés qui refusent toute réforme. Il faut combattre l’absentéisme au sein de l’éducation nationale. De même, si les bons élèves fuient aujourd’hui l’école publique, ce n’est pas parce-que celle-ci n’est pas capable d’offrir une alternative crédible à l’école privée pour ceux-ci. Ne pas oublier que quand Vallaud-Belkacem avait supprimé les classes bilingues et l’option latin (réforme heureusement annulée par Blanquer dès son arrivée aux fonctions), un afflux massif d’élèves aux bons résultats a eu lieu du public vers le privé, pour bénéficier de ces options, qui était effectivement proposées par le privé. Il faut donc, ouvrir des classes d’excellence, renforcer les possibilités d’options au sein des écoles publiques, bref, faire le nécessaire pour ramener les bons élèves au sein des écoles publiques. En clair, il faut essayer de faire en sorte que les bons élèves n’aient plus de raisons de vouloir quitter l’école publique.
Cependant, nous ne pourrons jamais faire du « tout-public » et il faut accepter que l’école privée peut être bénéfique aussi, puisqu’elle permet, comme dit auparavant, de scolariser un nombre important d’élèves à moindre coût. Il faut donc faire sauter la règle du « 80/20 » et financer les établissements en fonction du nombre d’inscriptions et plus en fonction du statut de l’établissement. Cela permettrait d’augmenter le nombre d’élèves scolarisés dans le public, y compris des élèves boursiers, puisqu’il y aura une plus grande liberté de choix entre le public et le privé (logiquement, si le nombre de places proposées augmente…). A terme, cela pourrait permettre une réduction des dépenses publiques qui pourraient être réinvesties dans l’école publique. De même, l’Enseignement Catholique n’a pas été avare de propositions pour améliorer la mixité dans les écoles privées, son secrétaire général Philippe Delorme a proposé de garder le tarif réduit pour les élèves boursiers scolarisés en école privée, en ce qui concerne les cantines scolaires et le transport, mesure qui ne coûterait pas un centime à l’Etat puisqu’ils bénéficiaient déjà de cette aide dans l’école publique. Enfin, il faut plus de liberté de choix pour les parents d’élèves, supprimer la carte scolaire qui impose la sectorisation aux parents. A terme, la solution, bien que taboue, d’un chèque éducation dégressif en fonction du revenu, dont le montant serait celui d’une scolarité, attribué à tous les parents pour financer l’établissement de leur choix, mériterait d’être posée, elle garantirait une vraie liberté de choix.
Pour conclure
Pour conclure, nous voyons, au risque de me répéter, le retour d’une idéologie néfaste, qui avait disparu pendant quelques années, du moins, en apparence, au sein de l’éducation nationale. Elle est revenue d’abord avec la restriction de la liberté de recrutement des lycées d’excellence parisiens (Henri IV et Louis le Grand) en 2022. En fait, la proposition du ministre serait presque aussi stupide que celle de dire qu’il faudrait dire plus de mixité sociale au sein de l’éducation prioritaire (qui connaît, en l’occurrence une surreprésentation d’élèves boursiers). Pour la simple raison, que cela reviendrait à essayer de convaincre des enfants issus de familles aisées d’étudier en zone prioritaire…Cela interroge tout de même sur le choix de Pap Ndiaye en tant que ministre de l’éducation nationale : l’idéologie au-dessus de la compétence, pour espérer draguer des électeurs de Mélenchon ! Le problème étant que nous parlons de celui qui est en charge de l’éducation des enfants, soit de l’avenir du pays !